Au milieu du XXe siècle, les cultures maraîchères se groupent en trois centres principaux. Au nord de Paris, de Bobigny à Stains en passant par Aubervilliers, La Courneuve, Saint-Denis. Au sud, de Champigny à Alfortville en passant par Créteil et Maisons-Alfort. Un troisième groupe, beaucoup plus lâche se distingue au sud de Paris sur la rive gauche de la Seine, d’Ivry à Bagneux.
Dans le registre des renseignements statistiques et administratifs du contrôle d’Aubervilliers – La Courneuve pour l’enquête agricole de 1866, on peut lire que « le sol (de La Courneuve) est d’une nature excellente, il est avec celui d’Aubervilliers auquel il est un peu inférieur le meilleur de la contrée. (…) Il est exploité en grosse culture maraîchère ». À La Courneuve, en 1882, sur une surface totale de 760 hectares, 754 sont consacrés aux cultures dont 220 pour la grande culture (froment, seigle, avoine, luzerne et betterave fourragère) et 540 hectares pour les cultures maraîchères. Les légumes les plus cultivés dans la plaine des Vertus sont alors les pommes de terre (100 ha), les choux potagers (100 ha), les oignons (100 ha) et les salsifis (100 ha) ; la plus petite culture étant dédiée aux navets (5 ha) qui vont totalement disparaître au fil des années. Les engrais proviennent principalement de l’enlèvement des boues et gadoues de Saint-Denis mais aussi de Paris auxquelles s’ajoute le fumier de cheval et de vache. Les boues et gadoues étaient formées de résidus végétaux, ordures ménagères, boues de terre, ramassés dans les rues, voire la matière fécale tirée des fosses d'aisances et dont on se servait comme engrais. Plus tard, dans les années 1920-1930, un wagon de gadoues sera chaque semaine acheminé pour desservir en engrais Aubervilliers, La Courneuve et Dugny. Le "roulage" (transport par voiture) de ces gadoues s’effectuait surtout l’hiver quand le sol était gelé.
Le passage de la grande culture à la culture maraîchère s’est effectué à La Courneuve à partir de 1820. Cette mutation qui nécessitait les trajets quotidiens entre le village et Paris pose rapidement le problème des routes. L’effort de l’amélioration des voies de communication entre la plaine des Vertus et Paris s’accompagne du pavage des chemins de culture desservant le terroir courneuvien. En effet, les routes créées pour la grande culture sont mal adaptées aux passages répétés des charrettes de maraîchers comme en témoigne cette déclaration, en 1843, du maire de La Courneuve, M. Thomas, lui-même gros propriétaire terrien dans le village : « De champ Tourterelle à La Courneuve, il n’y avait qu’un chemin de terre, la commune a fait de grands sacrifices entre 1824 et 1841 pour paver cette lacune (sic), (…) ce pavé n’avait été fait que dans le but de favoriser la grande culture (…). Il est de toute impossibilité qu’un pavé qui n’a que trois mètres de large puisse suffire à un tel service qui deviendra encore plus considérable par la suite ».
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la propriété terrienne à La Courneuve est inégalement répartie puisque 70 propriétaires parisiens possèdent 56% du territoire, 144 propriétaires albertivillariens possèdent 20,5% de la terre, 33 Dyonisiens en ont 9%, 56 propriétaires domiciliés dans la Seine et la Seine-et-Oise possèdent 7.5% du terroir et, enfin, 71 propriétaires courneuviens se partagent les 7% restants. Très morcelée, cette propriété courneuvienne, groupée dans les hameaux de Crèvecoeur et de La Courneuve (le lieudit à l’origine du village), se réduit le plus souvent à la possession de sa maison et du jardin attenant.
L’origine des cultures légumières de plein champ est ancienne dans la région puisque dès le XIVe siècle, la plaine des Vertus est un centre réputé de cultures légumières. Il semble que le sens général attribué alors au mot « vertu » désigne les gros légumes poussés en plein champ et fumés à l’aide de l’engrais urbain (boues et gadoues de Paris et de Saint-Denis). Ce sont donc les robustes choux de Milan dits « Gros des Vertus » (gros choux verts qui se distinguent surtout de leurs frères classiques par leur feuillage frisé), salsifis et oignons « Paille des Vertus » (oignons jaunes plus ou moins ovales de gros calibre), qui fondent la réputation des producteurs albertivillariens et courneuviens.
Aux Halles, la vente de ces légumes s’effectue au poids, voire au volume. L’acheteur détermine au coup d’½il la quantité de choux ou autre légumes que contient un tas dressé selon des règles établies. Dans les années 1920, il arrive chaque matin aux Halles 140 à 450 voitures de maraîchers. Ceux-ci sont groupés sur le « carreau » (emplacement de trottoir portant un nom) selon la provenance ou la nature des légumes qu’ils apportent. Ceux d’Aubervilliers et de La Courneuve se retrouvent sur le carreau des Vertus. Les ventes ont lieu de 4 à 8 heures du matin l’été et de 5 à 9 heures l’hiver. Selon les archives de la préfecture de police (Registre du commissariat central des Halles – 109 n°9), « pour occuper une place sur le carreau forain, les cultivateurs doivent justifier qu’ils vendent les produits de leur récolte et pour cela produire un certificat d’origine, timbré de l’octroi, ou un carnet spécial d’identité établi au commissariat de police des Halles centrales sur le vu d’une attestation du maire de leur commune. Les cultivateurs (…) sont tenus de placer d’une manière apparente devant leur marchandise une plaque d’un modèle déterminé indiquant en lettres blanches sur fond vert leur nom, qualité et domicile ».
À Bobigny où la culture maraichère a fortement marqué l’histoire de la ville pendant plus d’un siècle, les premiers maraîchers s’installent au début de la seconde moitié du XIXe siècle. En 1862, il y a 47 marais, il y en aura 161 en 1913. Dans son étude sur les maraîchers de Bobigny, Jean Joubert (Président du Cercle d’Etudes et de Recherches Historiques de Bobigny Balbiniacum) explique que les cultivateurs en place à Bobigny ne comprennent pas bien le choix du village, dont les sols sont réputés peu fertiles, pour l’installation de ces nouvelles cultures. Mais les jardiniers parisiens se soucient peu de la qualité du sol car ils apportent avec eux la technique de la couche chaude initiée à Versailles par Jean-Baptiste de La Quintinie (1626-1688), jardinier du roi. Dans une « supplique au roi », celui-ci avait présenté un traité qui, selon lui, devait contribuer à faire de bons jardiniers. Ses essais de « cultures forcées » deviennent la base de toute culture maraîchère avec, notamment, la mise au point d’un système de culture sous châssis vitrés et sous cloches de verre, la technique de la culture en espalier des arbres fruitiers permettant, à Versailles, aux poiriers, pêchers, pruniers et figuiers de pousser à l’abri des vents. Il crée également sur le même principe que l’orangerie, une figuerie, afin d'offrir des figues au roi dès la mi-juin, et ce pendant six mois. Ses successeurs profitent de ses expériences qui servent de base à la culture intensive, comme à Bobigny où, dès 1861, il y aura 650 châssis vitrés et 4000 cloches maraîchères par hectare de marais.
La première implantation maraîchère à Bobigny se fait dans le quartier des Vignes, en 1854, à l’extérieur du village, sur les lieudits du Merisier, du Clos Billard, du Clos de Gorme et des Vieilles Vignes. Il s’agit d’une propriété appartement au comte de Blancmesnil qui a loti la terre. Le comte a découpé les parcelles en damier d’environ 7000 mètres carrés chacune. Ce découpage en damiers ne se retrouve pas aussi nettement dans les autres secteurs maraîchers de la ville car les zones d’origine étaient moins vastes que celle du comte de Blancmesnil. En 1855, il y a 17 maraîchers installés sur le lotissement des Vieilles Vignes, ils sont 35 en 1857, 40 en 1860 et 64 en 1866. De 1854 à 1930, trois vagues successives d’expropriés parisiens, puis des émigrés du Morvan, viennent installer leur marais à Bobigny. Selon une étude de 1959, citée par Jean Joubert, il y a, à cette date, 43 marais aux Vieilles Vignes (qui seront expropriés à la fin des années soixante), 13 au Marais, 18 dans le secteur de la Folie, 32 aux Sablons et 10 marais sur la Vache à l’Aise. Soit un total de 116 marais répartis sur une surface totale de 883.130 mètres carrés représentant 14% du territoire de la commune. En 1960, la dimension moyenne d’un marais est un rectangle 77 mètres sur 110 mètres de profondeur. Chaque maraîcher dispose en moyenne de 7800 mètres carrés. Chaque propriétaire de parcelle y emploie 4 à 6 ouvriers et entretient un cheval, indispensable pour le transport des légumes aux Halles de Paris.
La particularité des maraîchers balbyniens par rapport à ceux de la plaine des Vertus est l’exportation à l’étranger de leurs produits. De 1880 à 1914, ils exportent le tiers de leur production vers les grandes villes du nord de la France, mais aussi vers l’Allemagne, la Prusse, l’Autriche et même la Russie. « Leurs qualités exceptionnelles et leur précocité leur permettaient de supporter les frais de transport élevés », écrit Jean Joubert. Avec la guerre de 1914-1918, des difficultés, liées notamment à la concurrence des producteurs du midi de la France et l’augmentation du prix des transports, se font de plus en plus sentir et ralentissent progressivement ces exportations.
À Bobigny, la culture des salades est majoritaire avec différentes sortes de laitues comme la Gotte, la Reine de mai, la pommeraie et la laitue de passion, mais aussi de la romaine, de la chicorée frisée, de la batavia, de la mâche, du pissenlit et de la chicorée scarole. Mais l’on cultive aussi sur le même marais du poireau, de la carotte Davanture (une carotte courte), des radis et des oignons blancs. En fait, la modicité de la surface est compensée par des cultures successives de plusieurs pousses durant l’année.
Le CERHBB (Cercle d'Etudes et de Recherches Historiques de Bobigny Balbinacium) publie sur son site web un diaporama sur l'histoire maraîchère de Bobigny : de très belles photographies à découvrir sur les terrains des maraîchers, les maisons, les familles de maraîchers, les savoir-faire et les outils.
Durant la période de l’entre-deux-guerres, la population maraîchère se réduit dans toutes les communes mais demeure encore à un bon niveau. En 1929, 140 maraîchers exercent leur métier à Bobigny pour 47 à Stains, 20 à Saint-Denis et 36 à Aubervilliers à la même date. Les maraîchers balbyniens sont les plus nombreux du département de la Seine au point qu’un projet, en 1942, cherchant à désengorger le quartier des Halles qui commence à poser problème, imagine transférer le carreau des Vertus à Bobigny. Mais, après la Seconde Guerre mondiale, l’activité maraîchère décroît. Les opérations d’aménagement urbain lancées dans les années soixante sont fatales aux maraîchers dont le nombre ne cesse de diminuer. À Bobigny, on en compte 114 en 1961, 89 en 1965, 72 en 1968, 55 en 1971, 32 en 1974, 18 en 1975 et il n’en reste qu’un seul en 2001. La plaine des Vertus est également dépossédée de ses maraîchers par l’urbanisation d’Aubervilliers où les derniers étaient situés dans le quartier Crèvecoeur, de part et d’autre de la rue de la Courneuve. À La Courneuve, c’est l’urbanisation du quartier des Quatre-Routes et du centre ville et la construction de la cité des 4000 logements qui sonnent le glas de l’activité. Enfin, dernière disparition en date, la grande friche maraîchère d’une centaine d’hectare située sue le site des Tartres à Pierrefitte-sur-Seine a laissé la place au bâtiment des Archives nationales.
Sur l’ensemble de la Seine-Saint-Denis, ils ne sont plus que trois maraîchers encore en activité : Guy Girard, rue des Francs-Tireurs à La Courneuve, Claude Lelièvre, rue Carnot à Stains, et René Kersanté avenue Stalingrad à Saint-Denis dont le terrain à été racheté par la Ville et classé au patrimoine municipal.
À La Courneuve, deux maisons de culture sont encore visibles rue Villot et rue de l’Abreuvoir. Cette dernière abritait depuis 1983 le musée des cultures légumières devenu l’écomusée de La Courneuve. Aubervilliers possède toujours deux maisons maraîchères. L’une, la ferme Mazier située 70 rue Heurtault, appartient aujourd’hui à la commune, la seconde, au 3 rue Chapon, conserve, malgré de grosses transformations postérieures, sa façade reconnaissable et sa porte charretière ainsi que les pavés d’origine de sa cour.
Avec l’association "Sauvons la ferme Mazier", la municipalité d’Aubervilliers a décidé d’assurer la conservation de cet endroit précieux, mais en piètre état. Le projet a permis l'ouverture des lieux au public, avec la rénovation de la ferme et le doublement de la surface des jardins attenants. Des travaux réalisés en 2014 par l'entreprise d’insertion APIJ BAT (chantiers écoles) et des stagiaires dans le domaine du bâtiment ont doubler les murs pour une meilleure régulation thermique, reconstruit un escalier d’accès au premier étage, refait le plancher à l’étage ainsi que l’électricité puis posé quatre fenêtres, en chêne, et une porte. Le financement a été pris par la région, la communauté d'agglomération Plaine commune, la fondation du patrimoine ainsi que la ville d'Aubervilliers qui ont compris l'importance de ce quartier Rue des Noyers-Rue Heurtault.
La ferme de la rue Chapon est en danger et les aménagements successifs en ont considérablement changé l’aspect primitif. Aujourd’hui, ce sont les pavés que certains des occupants souhaitent supprimer. Dans la partie de la rue du Moutier qui se trouve entre l’hôtel de Ville et la rue Heurtault, plusieurs de ces maisons, encore présentes dans les années 1970, ne le sont plus aujourd’hui.
À Bobigny, rue de la République, demeurent deux maisons de maraîchers avec leur enclos dont l’une a conservé sa citerne et l’autre la dernière bergerie de la commune. Trois constructions sont aussi repérables rue Jean Jaurès, près de la cité Libération, et deux autres situées dans l’enceinte d’entreprises dans la zone industrielle des Vignes. Mais c’est à Stains, rue d’Amiens, que l’on peut voir réunies plusieurs de ces citernes. Signal d’un temps révolu et entourées de marais encore cultivés, elles donnent un aperçu de ce que pouvait être le paysage de la banlieue du maraîchage.
Il existe à Noisy-le-sec un ensemble de construction dit "hameau" de maraîchers, 55 rue Merlan. Petite cité s’ouvrant sur une cour pavée, elle regroupe l’habitat de plusieurs familles d’agriculteurs maraîchers. Ce site est déjà mentionné au VIIe siècle sous le nom de "hameau de Merlan". Il forme une seigneurie indépendante de Noisy de l’an mil jusqu’au XVIe siècle. Enfin, à Vaujours, une maison de pailleux s’élève encore au 40 rue Alexandre-Boucher.