Cet homme "petit de corps et de famille, poussé par sa double petitesse, refusa dans sa petitesse d'être petit". Cette épitaphe traduit les origines modestes du prélat. Suger (1081-1151), né près de Saint-Denis, fils de gros paysans, devient ainsi oblat à l'âge de dix ans. Prévôt, puis abbé de Saint-Denis, voyageur infatigable, il entretient une relation privilégiée avec le pape, les évêques et les rois, dont il fut conseiller auprès de Louis VI et de Louis VII. Diplomate, régent de France pendant deux ans à la fin de sa vie, il meurt à Saint-Denis à l'âge, respectable en ces temps, de 70 ans. Cet homme d'exception, excellent administrateur, chroniqueur méticuleux de son œuvre, fera de Saint-Denis l'une des plus puissantes abbayes du royaume, enrichie par les dons royaux.
Suger est l'un des personnages centraux de l'abbaye de Saint-Denis. Dès 1135, il se consacre à la reconstruction du vieil édifice carolingien. Il édifie de 1140 à 1144, "en trois ans, trois mois, trois jours" nous dit-il, un nouveau chevet lumineux. Cette nouvelle architecture prestigieuse est à l'image du royaume capétien en pleine expansion. Issue de la synthèse d'expériences techniques européennes, elle est liée à une conception théologique de la lumière qui s'inspire des textes mystiques du Pseudo-Denys, l'une des bases de l'enseignement de l'époque. Par sa vision architecturale novatrice, il consacre la naissance en Ile-de-France, de ce que les détracteurs italiens de la Renaissance appelleront, avec mépris, l'art gothique.
Ce nouveau chevet lumineux est plus adapté à la présentation des reliques des saints vénérées par des pèlerins de plus en plus nombreux. En effet, l'exiguïté de la crypte carolingienne, où se trouvaient les reliques, entraînait de graves difficultés lors des pèlerinages. La foule était si dense que, selon Suger, des femmes oppressées s'évanouissaient ou mourraient en poussant des cris épouvantables.
Par ailleurs, l'originalité architecturale de ce chevet, dont les parties hautes ont été reconstruites au XIIIe siècle, réside dans l'utilisation d'une forêt de colonnes monolithes, supportant une des premières voûtes sur croisée d'ogives parfaitement maîtrisée. Cet espace est à l'image d'une immense châsse-reliquaire inondée de lumière colorée abritant les reliques du saint. L'absence de murs entre les chapelles et le doublement de la surface vitrée dans chacun de ces espaces de prière, crée un mur exceptionnel de lumière continue. Cette innovation spectaculaire ne tarda pas à faire école.
Ce chevet est consacré le 11 juin 1144 lors d'une procession conduite par le roi Louis VII et la reine Aliénor d'Aquitaine. Une vingtaine d'évêques, de nombreux abbés et le légat du pape transportent, de l'étroite et sombre crypte carolingienne vers le nouveau chevet, les trois reliquaires en argent des saints Martyrs. Disposées dans un somptueux autel, aujourd'hui disparu, ruisselant d'or et d'argent, les reliques sont désormais en pleine lumière et visibles par tous, de toutes les parties de l'église. Aujourd'hui encore, l'autel du XIXe siècle abrite trois reliquaires contenant des ossements.
On peut voir la représentation de l'abbé Suger au pied du Christ (à gauche) dans le tympan à l'entrée de la Basilique.
Il est également sculpté dans un des médaillons du porche des portes centrales (porte à droite).
Tympan - Basilique Saint-Denis © CDT93
Abbé Suger en bas à gauche - médaillon © CDT93
Livre : La Basilique Saint-Denis et ses grands chantiers paru en avril 2022, auteur : Jean-Michel-Leniaud
Les Gisants de la Basilique de Saint-Denis, auteur : Antoine Schneck
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