Les reliques de saint Denis ont une histoire mouvementée. Au fil des siècles, elles furent l'objet de nombreuses convoitises.
En théorie, les corps des défunts devraient reposer en paix à l'endroit où ils sont enterrés. Toutefois, les martyrs ne sont pas des morts comme les autres ! Au Moyen Âge, les chrétiens admettent que les corps des saints puissent être morcelés, pour être mis en valeur dans divers reliquaires ou châsses, et transférés en d'autres lieux sans dommage (fig.7) car chaque parcelle de leur corps est censée contenir toute leur puissance miraculeuse. Des fragments peuvent ainsi en être prélevés pour être offerts à d'autres églises dédiées au saint, voire à des puissants en récompense de leurs bienfaits. Le rayonnement d'un culte se mesure souvent à la dispersion de ses reliques.
Une chronique du début du VIIIe siècle, le Liber Historiae Francorum, affirme de manière laconique que le roi Clovis II (639-657), fils du roi Dagobert, s'empara d'un bras de saint Denis à l'instigation du diable. Cet épisode a été développé quelques décennies plus tard par l'auteur d'une biographie de Dagobert qui explique que Clovis II avait dérobé cette relique par pure cupidité mais qu'il fut aussitôt pris d'une crise de démence. Le saint s'était vengé ! Pour racheter son méfait, le roi fit ensuite placer le bras dans un beau reliquaire orné d'or et de pierres précieuses (fig.8) et le rendit à l'abbaye. L'illustration fait référence au cas similaire de saint Eustache.
En 1052, le corps de saint Denis se retrouve au c½ur d'une affaire d'État. Les moines du puissant monastère de Saint-Emmeran de Ratisbonne affirment en effet qu'ils le possèdent et organisent une grande fête en présence de l'empereur et de toute la cour de Germanie. La réaction des moines de Saint-Denis ne se fait pas attendre. Le conflit prend une telle ampleur qu'il nécessite l'intervention du roi de France Henri Ier, qui fait ouvrir solennellement la châsse en présence de nombreux évêques : tous peuvent ainsi constater que le corps est bien à Saint-Denis (fig.9). En 1406, une nouvelle querelle oppose cette fois les moines de Saint-Denis aux chanoines de la cathédrale de Paris : si les moines affirment toujours posséder le corps complet, les chanoines prétendent avoir reçu du roi Philippe Auguste, en 1217, le sommet de la tête du saint. Ce conflit s'envenima au point de faire l'objet d'un procès au Parlement de Paris en 1410. D'après les chanoines, Denis aurait en effet été décalotté avant d'être décapité, et cette version est relayée par certaines représentations du XIIIe siècle qui montrent un saint Denis auquel ne manque que la calotte crânienne (fig.10, au centre) au lieu du classique saint Denis décapité (fig.12). D'autre saint, tels Nicaise de Reims (Fig.11), sont représentés de la même manière. De nos jours, les reliques de saint Denis sont toujours conservées dans une châsse placée dans le ch½ur haut de la basilique.
Figure 7 :
Translation des reliques de saint Denis.
Vie de saint Denis (milieu du XIIIe s.)
Ms. Paris, Bibl. Nat. nouv. acq. fr. 1098, fol. 54
Figure 8 :
Reliquaire de vermeil, bras de saint Eustache.
Planche I figurant le trésor de Saint-Denis, issue de l'Histoire de l'abbaye
royale de Saint-Denis par Michel Félibien (1666-1719)
Cliché Yann Mambert
Figure 9 :
saint Denis, soutenu par deux anges, remet sa tête à Catulla qui le fait ensevelir.
Yves de Saint-Denis, Vie et martyre de saint Denis et de ses compagnons (1317)
Ms. Paris, Bibl. Nat. fr. 2092, fol. 53v.
Figure 11 :
Saint Nicaise et l'ange au sourire.
Portail de la cathédrale de Reims
©Jean-Pierre Delagarde / Centre des monuments nationaux
Figure 12 :
Saint Denis.
Missel de Troyes (vers 1460)
Ms. Paris, Bibl. Nat. lat. 865A, fol. 590
Livre : La Basilique Saint-Denis et ses grands chantiers paru en avril 2022, auteur : Jean-Michel-Leniaud
Les Gisants de la Basilique de Saint-Denis, auteur : Antoine Schneck
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