Avide d'exploration, d'aventures et de rencontres, je suis autant fasciné par la banlieue et ses grands espaces que par les centres-villes métissés.
La photographie m'accompagne dans cette démarche, qu'il s'agisse de documenter la périphérie de Delhi, de traverser le Nord de l'Inde à vélo ou d'aller à la rencontre de la communauté sikh de Bobigny. Diplômé de Sciences Po, ayant étudié en Inde, les sujets sociaux et urbains ont ma prédilection.
Arthur Crestani
À Bondy, la centrale à béton d'Holcim apparaît alors que l'on traverse le canal de l'Ourcq. La structure verticale, ses silos dressés vers le ciel, bourdonne au gré de l'acheminement des matériaux par le tapis roulant. Au sol, les camions toupies attendent leur tour.
Au centre de tri de Paprec, dans la zone industrielle du Blanc-Mesnil, la machine ne s'arrête pas. Elle avale, secoue, remue, soulève, abaisse et éjecte, le long des tapis, dans les conduits, jusque dans les bacs. C'est une machine immense, une chaîne de tri, un outil de plusieurs dizaines de mètres de long conçu pour séparer les matières. Sous les hangars, les déchets s'accumulent à l'entrée, sont triés et compactés en balles, avant d'alimenter les filières de recyclage.
Dans l'industrie, l'humain se dérobe aux regards. En quelques instants, les conducteurs de toupies descendent de leur camion, saluent le chef de centrale et retournent à leur chargement de béton. Il n'y a que trois personnes constamment sur le site, et les conducteurs défilent, scandant leurs journées de ces passages, entre deux livraisons. Dans les cabines, en entrée et en sortie de la chaîne de trivalorisation, les trieurs, en majorité des intérimaires d'origine africaine, font montre d'une grande concentration. Ils corrigent les erreurs de la machine, affinant le triage entre les plastiques, les cartons et les métaux, dans des gestes répétés, millimétrés.
Dans les deux mondes, celui du béton amélioré chimiquement comme celui des emballages, témoins familiers de la consommation quotidienne, le vacarme de la machine laisse peu de place aux êtres. Les poussières, projections d'eau, de sable et granulés vont se nicher dans les moindres recoins. Les équipements de protection sont fluorescents, orange ou jaune, moins glamour qu'un gilet de protection porté par Lagerfeld. Dans ces espaces compliqués, il n'est de place pour la poésie. L'industrie est flux, l'industrie est répétition, passage d'un endroit vers un autre, transformation. Les travailleurs l'accompagnent, la surveillent, les ingénieurs la supervisent.
Photographe, je me suis attaché à rendre compte de ces conditions de travail, à aller à la rencontre de ceux qui vivent, neuf heures par jour, sur ces sites. Aussi hostiles ces espaces soient-ils, ils n'en demeurent pas moins essentiels, au c½ur de nos territoires, de notre économie et de nos conditions de vie. Ce sont deux lieux, un extérieur, un intérieur, qui travaillent deux récits photographiques différents. Là où la centrale à béton est embrassée par la lumière apaisante du jour, le site de tri présente un éclairage aux néons, pauvre, que j'ai complété par l'usage de flashs.
Autres photographies de sites industriels par Stephan Faraci et Lucille Pellerin.
Découvrez le projet photographique "Lumière sur le 93" à la découverte des talents de la Seine-Saint-Denis et l'ensemble des travaux des étudiants de l'ENS Louis-Lumière.