À l’aube du XIXe siècle, l’ampleur de l’exode rural confronte les villes à d’inquiétants problèmes de croissance. Face à la situation que connaissent les villes industrielles, deux courants se dessinent : aménager l’existant ou transporter la ville à la campagne. Ces deux options ne s’affrontent pas mais cohabitent car leur motivation est la même : la santé des citadins, préoccupation sur laquelle les hygiénistes fondent leur discours. Dans ce contexte, on assiste à l’émergence simultanée des cités-jardins (Stains, Saint-Denis, Drancy), des jardins-ouvriers (Pantin), des lotissements (Tremblay-en-France) et des HBM.
Industriels, élus locaux et hygiénistes se voient coincés entre ces villes de plus en plus décriées, (mais dont les usines doivent nécessairement rester proches), et la préoccupation d’un "eugénisme urbain". La stratégie la plus radicale sera celle de la cité-jardin. C’est le Britannique Ebenezer Howard (1850-1928) qui a, le premier, l’idée de mettre les villes à la campagne. Il imagine la création de "cités-jardins", entièrement autonomes, afin de décongestionner les grandes villes industrielles surpeuplées et inorganisées. En 1898, il publie un ouvrage, To-morrow, a peaceful path to real reform (Demain, un chemin paisible vers une véritable réforme), dans lequel il fixe ses objectifs : "La ville et la campagne doivent s’allier et de cette joyeuse union jailliront un nouvel espoir, une nouvelle vie, une nouvelle civilisation".
Howard situe autour de 30 000 le nombre optimal des habitants de ces cités-jardins, car tous doivent trouver un emploi sur place. Elles regrouperaient les trois grands secteurs d’activités, l’agriculture, l’industrie et les services, pour lesquels Howard fixe des quotas et des règles d’implantation sur le territoire. L’aménagement concentrique de ces cités-jardins prévoit en leur centre un grand jardin dans lequel se répartissent les équipements publics : mairie, salle de concert, théâtre, bibliothèque, musée, dispensaire municipal, etc. Parmi les premières réalisations de ce type en France, la cité-jardin "La Ruche", à Saint-Denis, est l’½uvre de Georges Guyon, l’un des premiers architectes à penser le logement social. En 1890, un concours pour un groupe de logements sociaux à réaliser dans la Plaine Saint-Denis est lancé par la Société des Habitations Economique de Saint-Denis. La Ruche, opération de 67 logements où les maisons sont posées entre cour et jardin, construite de 1891 à 1893, est la première réalisation d’HBM encadré par la loi Siegfried créant le financement public du logement social. Georges Guyon a réalisé d’autres ensembles à Saint-Denis dont la cité ouvrière de la rue Prairial.
Mais c’est Henri Sellier (1883-1943) qui est l’initiateur des cités-jardins les plus importantes de la région parisienne. En tant que ministre de la Santé publique, il contribue à l’édification de quinze cités-jardins autour de Paris. Il fonde, en 1916, l’Office Publique d’Habitations à Bon Marché de la Seine qui permet d’acquérir les terrains nécessaires à l’édification de cités-jardins en banlieue parisienne. Suresnes, dont il est élu maire en 1919, est la plus remarquable. Sellier s’entoure d’une douzaine d’architectes acquis à ses causes. Directement inspirée par les réalisations britanniques et le mythe du "cottage", l’équipe imagine, dans un premier temps, des villages pittoresques au parcours sinueux et à l’esthétique pavillonnaire vernaculaire : toits pointus et hautes cheminées. Le matériau vert est largement utilisé pour la mise en scène de l’espace.
L’une des premières réalisations de cité-jardin dans l’ancien département de la Seine est celle de Drancy. Construite par les architectes Joseph Bassompierre et Paul De Rutté, la cité-jardin de la rue de la République compte 210 logements groupés dans des lotissements de maisons individuelles et situés dans la zone rurale de Drancy, l’actuel centre-ville. Les premières maisons sont construites en 1920 et 1921 et louées au personnel du chemin de fer de ceinture. Elles présentent des façades de brique rouge, parfois crépies, surmontées d’une toiture en tuile.
Une seconde vague de travaux, en 1929 et 1930, différencient les maisons par leurs toitures en terrasse et comportent des logements semi-collectifs. L’ensemble offre des constructions dont la variété et l’asymétrie rompent avec l’habituelle monotonie des cités ouvrières. La cité-jardin de Drancy a subi une destruction partielle en 1996. La cité-jardin du square Stalingrad au Blanc-Mesnil est contemporaine de celle de Drancy. Elle aussi aurait été construite par la Compagnie des Chemins de fer du Nord pour loger ses employés. La tache a été confiée à Hector Caignard de Mailly, un architecte parisien qui a construit plusieurs cités-jardins en France dans les années 1930, dont celles de Tours (en 1927/1928), de Poissy (1930) et de Livry-Gargan (1933). Caignard est également l’architecte qui a réalisé l’église du Sacré-C½ur au Blanc-Mesnil. Les maisons des cités-jardins d’Hector Caignard sont toutes plus ou moins conçues de la même manière avec un gros ½uvre en béton recouvert de meulière. De forme concentrique, la cité-jardin du square Stalingrad ressemble, vue du ciel, à la roue d’une locomotive. À l’origine, le square aménagé par un paysagiste, se nommait square de la Concorde.
Pas moins de 22 cités-jardins ont été construites sur le territoire qui deviendra la Seine-Saint-Denis, offrant 7000 logements. Elles n’ont pas toutes la même importance ; certaines ont disparu ; d’autres ont été rénovées ou réhabilitées comme la cité Albert 1er à La Courneuve, celle de la rue des Sablons aux Lilas (architectes Pelletier et Teisseire en 1921/1923), la cité-jardin des Pommiers (construite par Félix Dumail en 1922, agrandie en 1938), la cité Saint-Vincent-de-Paul à Villetaneuse (en 1920) ou, plus tardive, la cité-jardin de Noisy-le-Sec, construite dans les années 1950, allée de la Libération.
La cité-jardin des Lilas est construite par les architectes Pelletier et Teisseire dans les années 1921 à 1923 pour la première tranche et 1931 pour la seconde. Elle est située sur un terrain de plus de six hectares, rue des Sablons, tout près du centre ville. Le tracé de la voirie est d’une grande simplicité puisqu’il se compose d’une voie principale distribuant les impasses. En revanche, les différents modes de groupements des bâtiments offrent une perception visuelle très diversifiée. La première tranche ne comprend que des maisons individuelles en rez-de-chaussée ou avec un étage ayant toutes leur jardin. Les 197 pavillons (avec 212 logements) sont conçus avec une espérance de vie limitée prévue pour quinze à trente ans. Ils ne possèdent ni salle de bains ni chauffage central. Malgré un plan de base commun, les maisons sont réalisées selon des typologies différentes en jouant, notamment, sur l’emplacement des ouvertures et sur le volume des toitures.
Leur vétusté a entraîné leur démolition entre 1971 et 1973. Contrairement à la première, la seconde tranche ne propose que des logements collectifs à deux étages. Les 106 logements, de une à cinq pièces, comprennent une cuisine, une salle de bains, des W-C et un débarras. Ils sont pourvus du chauffage central. Mieux conçus et plus solides que les pavillons, les immeubles collectifs de la cité-jardin des Lilas sont toujours occupés.
À Stains, les architectes Eugène Gonnot et Georges Albenque réalisent entre 1921 et 1933 une véritable ville dans la ville avec la cité-jardin qu’ils construisent sur les terrains du parc de l’ancien château détruit lors des combats de la guerre de 1870. Édifiée afin d’héberger en priorité les populations ouvrières travaillant dans les usines de Saint-Denis, Le Bourget et La Courneuve, la vie de quartier qui s’y est organisée a contribué à la réussite sociale de ce modèle exemplaire. Dans ce vaste projet, les logements se présentent soit sous la forme de pavillons avec jardins, groupés par deux, quatre ou six, soit de maisons individuelles (par exemple, la cité-jardin de Livry-Gargan), soit encore d’immeubles collectifs. Les plans de ces derniers dépendent de leur implantation urbaine : immeubles en T, en angle, à redents ou parallèles à la rue (comme celui du 14 avenue de la Division Leclerc).
Malgré la standardisation des éléments, la différenciation des façades s’effectue par l’ajout d’éléments types : bow-windows et balcons à colonnes (18 avenue de la Division Leclerc), parfois couronnés de tourelles (2 avenue de la Division Leclerc). Les maisons sont elles aussi construites sur le même mode : utilisation de la brique recouverte d’un crépi moucheté coloré de plusieurs tons, avec des toits en tuile ou des toitures-terrasses. La différenciation s’effectue là par le traitement des ouvertures (avenue Paty). Les architectes ont pensé le plan d’ensemble de la cité-jardin en fonction du centre ancien de la ville. Le nouveau quartier est conçu comme une toile d’araignée dont la voirie constitue les fils et la place Marcel-Poiret, le centre. Les alignements d’arbres le long des larges avenues renforcent les perspectives "monumentales" pénétrant vers le c½ur de la cité. Des placettes, à l’allure provinciale, ponctuent le paysage urbain, tandis que des chemins, presque des sentiers, serpentent entre les jardins.
La cité-jardin de Stains compte 1676 logements répartis en 456 pavillons et 19 immeubles de 3 ou 4 étages. Elle n’a pratiquement pas subi de transformation depuis sa création et sa valeur patrimoniale a été reconnue en 1976 par son inscription au titre des sites.