L’idée d’une intervention publique en faveur du logement social s’impose progressivement au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. La révolution industrielle a pour conséquence un exode rural important et une augmentation de la population ouvrière. Elle entraîne une forte croissance urbaine qui se prolonge jusqu’en banlieue où le développement des infrastructures de transports modifie en profondeur le paysage. C’est dans ce contexte de bouleversements que le logement des ouvriers s’impose dans le débat public. Le 13 avril 1850, la loi sur l’insalubrité des logements est votée. En l’absence de propriétaire, la commune doit se porter acquéreur des immeubles déclarés insalubres.
A Paris, Napoléon III lance un ambitieux programme de construction « d’habitations ouvrières » limité à quelques réalisations dont la plus emblématique est la « Cité Napoléon », rue Rochechouart. Abritant 200 logements locatifs, elle est vite perçue comme une dangereuse « caserne ouvrière ». Cette cité choque, par ailleurs, les milieux libéraux et philanthropes qui voient dans « la maison de famille » et l’accession à la propriété le salut social et moral de l’ouvrier.
C’est dans le même esprit que le patronat industriel formule ses propres réponses. Mais, au contraire du précurseur André Koechlin à Mulhouse, qui propose des maisonnettes en accession, François Coignet construit, en 1852, à Saint-Denis, à proximité de son usine, des logements locatifs pour son personnel. Méfiant à l’égard de cette soudaine sollicitude, le mouvement ouvrier essaie de formuler d’autres réponses aux besoins en logements décents.
Immeuble de François Coignet - Saint-Denis
La mobilisation des premiers partisans du logement social va prendre de l’importance grâce aux Expositions universelles. Celle de 1867 présente des « habitations ouvrières ». La cité ouvrière de Mulhouse et le Familistère de Guise sont notamment exposés et nourrissent le débat. Celui-ci est relancé lors de l’Exposition universelle de 1889 avec la cité Menier à Noisiel.
Au premier Congrès international des habitations ouvrières, se dessine une première synthèse : si la maison avec jardin est préférée, le logement collectif est jugé inévitable car moins coûteux. En 1889, la création de la Société française des Habitations à Bon Marché par Jules Siegfried et Georges Picot marque une étape décisive. Elle lance un concours pour la réalisation d’un premier ensemble à Saint-Denis, « La Ruche », qui donne lieu à la création de la Société des habitations économiques de Saint-Denis.
Mais l’acte fondateur pour le logement social est la loi portée par Jules Siegfried, devenu député et ministre de l’Industrie et du Commerce. Votée le 30 novembre 1894, elle reconnaît la nécessité de faire appel à l’État pour formuler une réponse satisfaisante au logement des plus pauvres. Cette loi ouvre timidement la porte à l’action publique et fait naître de nombreuses sociétés anonymes (SA) et coopératives d’HBM. Ainsi, la coopérative « Le Coin du feu » est fondée le 18 août 1894. L’ensemble qu’elle édifie à Saint-Denis reçoit la médaille d’or à l’Exposition universelle de 1900.
Le 23 décembre 1912, la loi Bonnevay autorise les municipalités à financer des Offices publics d’HBM. A la même période, le long des lignes de chemin de fer de la banlieue parisienne, des investisseurs et spéculateurs fonciers lotissent des terrains, en promettant voiries et réseaux divers à ceux que l’on n’appelle pas encore les « mal lotis ».
La guerre, qui débute en août 1914, met un coup d’arrêt à cette urbanisation sauvage et ne permet pas à la loi Bonnevay de montrer toute son importance. On compte alors en France un peu plus de 300 organismes promoteurs d’HBM pour 40 000 logements construits.
La reconstruction nourrit la pensée urbaine et fait progresser l’idée de planification. Ainsi, la loi Cornudet oblige les communes de plus de 10 000 habitants à établir un « plan d’aménagement, d’extension et d’embellissement ». Malgré cela, la croissance urbaine de la banlieue, plus ou moins anarchique, s’amplifie.
Le Conseil général de la Seine lance, en 1924, l’idée de créer une ville nouvelle sur les communes de La Courneuve, Le Bourget, Dugny et Stains. Conçu par Marcel Auburtin et Raoul Dautry, ce projet de « cité satellite » de 80 000 habitants doit permettre de fixer une partie de la population de la banlieue en liant logements, activités, commerces et transports en commun. Même si le projet échoue et devient l’actuel parc départemental de La Courneuve (parc Georges Valbon), c’est le début d’une véritable politique foncière.
Au cours des années 1920, villes et départements se dotent d’offices publics d’HBM grâce à la loi Bonnevay. L’Office public d’HBM de la Seine est, lui, très rapidement actif. Passionné par les questions urbaines, son administrateur-délégué, Henri Sellier va multiplier les chantiers et les acquisitions foncières.
Plan des Réalisations de l'office public d'habitations du département de la Seine 1933
Souhaitant loger plus de locataires, l’OPHBM du Département de la Seine privilégie les collectifs dès la fin des années 1920. La crise économique, augmentant les coûts de construction, va renforcer ce choix. Henri Sellier impulse la construction d’une quinzaine de cités-jardins en banlieue parisienne. Le département de la Seine, moins dense que Paris, dispose de terrains libres qui profitent à la réalisation du projet de cité-jardin. À Stains, entre 1921 et 1933, les architectes Eugène Gonnot et Georges Albenque édifient une cité-jardin de 456 logements en pavillons et 1220 en collectifs.
En 1928, pour répondre à la crise du logement qui perdure, la loi Loucheur envisage un fort engagement de l’État en faveur du logement social, soit un programme de financement sur cinq ans permettant la réalisation de 200 000 HBM et 60 000 habitations à loyer moyen.
Carte postale ancienne de la Cité-Jardin du Blanc-Mesnil
Au début des années 1930, l’action des Offices publics se développe. À Montreuil, Florent Nanquette conçoit les HBM pour l’office municipal. Aubervilliers, La Courneuve, Bondy, notamment, s’efforcent d’en faire autant. En seconde couronne, l’Office public d’HBM de Seine-et-Oise édifie plusieurs petites cités-jardins. La cité-jardin d’Orgemont située sur les communes d’Argenteuil et d’Épinay-sur-Seine (Jean Philippot, Henri Pacon architectes), inaugurée en 1928, est alors destinée à l’accession à la propriété. Mais l’ampleur de la crise économique transforme ce projet en locatif. La cité d’Orgemont illustre bien les difficultés que rencontre la loi Loucheur dont l’ambitieux programme ne peut être réalisé. La tendance générale est désormais au logement collectif.
Le Gai logis, groupe de 210 logements à Saint-Denis
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