Comment étaient cultivées les différentes variétés de légumes de la Plaine des vertus comme les Choux milan gros des vertus, les Asperges vertes d’Aubervilliers, les Betteraves longue rouge, l'Oignon jaune paille des vertus, le Navet marteau... ? Toutes ces variétés étaient rarement cultivées seules. Les cultures étaient mélangées et souvent semées à la volée. Jean-Michel Roy, responsable de l'Unité Patrimoine et Arts Visuels de La Courneuve présente cette technique de "Cultures mêlées".
La Plaine des vertus est célèbre encore aujourd'hui en France pour un ensemble de variétés toujours cultivées. Cette plaine a plusieurs caractéristiques assez particulières. Les légumes y sont cultivés pour fournir le marché parisien au moins depuis le XIIIe siècle. Cette activité a pris une telle extension au cours des siècles, notamment en raison de l’humidité naturelle des terres, que la plaine est devenue le jardin de Paris, fournissant plus de la moitié des légumes de la capitale, voire les trois quart des gros légumes dans les années 1860. À son apogée, plus de 2000 ha étaient cultivés en choux, oignons, poireaux, navets, carottes, panais, betteraves, etc. Elle a été le creuset de la sélection variétale paysanne durant des siècles et un lieu d’élaboration de techniques singulières.
Ce que l’on sait moins, c’est que ces variétés étaient rarement cultivées seules et que les cultures étaient mélangées et souvent semées à la volée.
Les graines d’oignons (rouges, blancs et jaunes) étaient mélangées avec celles de poireaux et étaient semées à la volée ensemble à raison de 5 livres par arpent (7 à 8 kg par ha, moins d’un gramme au mètre carré). Les proportions étaient les suivantes : 1 livre de rouges, 1 livre de blancs et 2 livres de jaunes et 1 livre de poireaux. Les différents oignons étaient récoltés en fonction de leur maturité, les blancs en premier, suivis des rouges et les jaunes en dernier. Les poireaux restaient dans le sol jusqu’à l’hiver.
Cette technique offrait de nombreux avantages. Une économie de main d’½uvre importante était réalisée lors du semi. Les rythmes végétatifs des différentes plantes permettaient d’occuper le sol en permanence et donc d’en accroître la productivité. La récolte différenciée pouvait permettre d’attendre la maturité de chaque plante. Les trois variétés d’oignons se devaient d’être à maturité échelonnée, une hâtive, une tardive et une moyenne, ce qui a été sans doute déterminant pour la sélection, en dehors des goûts des consommateurs.
Cette technique offrait aussi des inconvénients. Le semi à la volée demandait à ce que le sol soit jalonné pour éviter d’effectuer des semis trop larges et demandait une grande maîtrise technique pour homogénéiser la densité. Pour le désherbage, il est moins facile de distinguer les adventices. La récolte s’opère en plusieurs passes donc augmente les coûts de main d’½uvre. Les coûts et les inconvénients devaient être inférieurs aux avantages puisque cette technique a au moins perduré durant trois siècles.
Au XVIIe siècle, cette technique est révélée lors des procès qui opposent les propriétaires des dîmes de légumes aux habitants qui mêlent oignons et navets ou poireau et navet et refusent de payer la dîme sur la deuxième récolte. Des photographies et des témoignages du XXe siècle confirment la permanence de cette technique qui n’avait que le but de la fraude fiscale. Entre les planches semées à la volée, des sentiers étaient semés de betteraves ou d’autres plantes.
Les forrières ou boutières sont un autre espace particulier des parcelles légumières des Vertus. Au bout du champ, l’espace sur lesquels tournent les chevaux lorsqu’ils labourent, dénommé forrière en Ile-de-France ne porte pas la même culture que le reste du champ. La forrière est labourée à la houe ou à la bêche mais quelques fois ne l’est même pas. Des navets ou des radis sont semés à la volée et les graines sont recouvertes d’un coup de râteau.
De nos jours, de plus en plus de cultivateurs s'intéressent à ces techniques d'associations de cultures (de variétés ou d'espèces) et s'en inspirent pour les utiliser dans le champ de la permaculture. La Seine-Saint-Denis compte un certain nombre de ces sites agricoles installés en zone urbaine ou sur des friches industrielles.
Le Paysan Urbain installé sur le site en réhabilitation de la ZAC de l'Horloge à Romainville © Sequano
Les principales associations étaient entre les oignons et les poireaux et l’oignon et le persil. Mais toutes étaient pratiquées. Et dans ces mélanges déjà assez riches, les cultivateurs des vertus mêlaient en plus des graines d’asperges pour faire du plant. Le plant d’asperge était arraché en même temps que les poireaux.
Dès le XVIIe siècle, grâce aux inventaires après-décès des vignerons, nous savons que les parcelles plantées en vigne pouvaient contenir bien autre chose que des ceps. Quelques arbres étaient disséminés dans les pièces de terres qui pour certaines faisaient quelques centaines de mètres carrés.
À Montreuil, dès 1622, on trouve mention de fraisiers plantés dans les vignes. Les céréales, comme l’orge, le seigle et l’avoine sont plantées en touffe entre les pieds de vigne ou sur les endos (butte). L’association la plus fréquente est celle de l’asperge. Les terres en vigne et asperges se multiplient au début du XVIIe siècle à mesure que les jardiniers parisiens abandonnent cette culture au profit d’autres plus rémunératrices.
Les cultivateurs des Vertus se font les promoteurs de cette culture, notamment à Noisy-le-sec, où ils achètent les récoltes en fournissant les botteloirs aux vignerons. Pois et fèves et marais sont aussi cultivés entre les pieds ou les rangs de vigne. À partir de son introduction en région parisienne au milieu du XVIIe siècle, le haricot trouve sa place dans les parcelles de vigne. Si le raisin de la vigne sert à fabriquer du vin qui est vendu à des marchands et donc non consommé par les vignerons, les cultures associées sont surtout des cultures vivrières, car pois, fèves de marais, orge et haricots forment la base de l’alimentation paysanne en dehors du pain de seigle ou de méteil.
La culture de la pomme de terre (truffe) est introduite en région parisienne au milieu du XVIIIe siècle pour nourrir les vaches. Les vignerons et certains cultivateurs la cultivent donc uniquement dans ce but. Au moment de la Révolution française, alors qu’il n’y a plus rien à manger, les vignerons de Montreuil et de Noisy-le-Sec apportent quelques sacs de "cette nourriture de vache" à Paris qui s’arrachent à prix d’or ou d’assignats. Quelques jours plus tard, c’est par centaines de sacs, puis par milliers, que ces pommes de terre sauvent les parisiens de la famine. Au début du XIXe siècle, les pommes de terre et les choux forment la base de l’alimentation populaire à Paris avec le pain. Sur un coteau bien exposé, une pomme de terre hâtive semée en mars est récoltée en mai et une culture de haricot lui succède qui, récolté à l’automne, sera suivi de la plantation de l’orge, une fois la vendange effectuée. Haricots et pommes de terre garantissent les cultivateurs et les famines ne sont plus à craindre en région parisienne.
Petits fruits rouges, comme framboisiers, cassis et groseilliers, font irruption dans les parcelles de vigne et dans certains villages donnent même naissance à une catégorie fiscale de terre (terre en cassis). L’oseille et les fraisiers y sont alors fréquents. La chronologie de ces différentes phases et les associations sont aussi différentes que le sont les villages de vignerons. La proximité de Paris ou d’un axe de circulation important, la proximité d’une petite ville, la densité de bourgeois parisiens fréquentant les villages, la présence d’une communauté religieuse, dotée d’un jardin ou d’un jardinier, sont autant de facteurs qui peuvent expliquer et accélérer les changements dans l’agriculture autant que des facteurs comme l’inventivité d’un groupe social. Le monde des vignerons n’est pas celui de la vigne mais repose sur l’observation du climat parisien et de ses frimas qui peuvent décimer une culture. Plus on associe, plus on diversifie, moins on est sujet à être le jouet du climat.
Dans le jardin situé derrière la maison de cultures du 11, rue de l'Abreuvoir à La Courneuve, Jean-Michel Roy expérimente ces techniques de cultures et réalise 4 carrés qui permettent d’évoquer les spécificités du territoire agricole de Plaine Commune, 3 présentent les vertus et un les vignes. Les bordures des allées sont réalisées en fraisiers dans l’allée principale et en sauge, thym et persil dans les deux allées secondaires. Dès le XVIIe siècle, de telles allées sont réalisées.
Ce carré présente les différents types d’associations (petites planches).
Ce carré présente les différentes variétés de choux, de betteraves, chervis, laitues, betteraves ou carottes (blanche, jaune, rouge).
Texte de Jean-Michel ROY, responsable de l'Unité Patrimoine et Arts Visuels de La Courneuve.