Comme lors du premier conflit, la seconde guerre mondiale interrompt à nouveau la réflexion menée pour lutter contre les taudis et contribue à la ruine de l'habitat avec 400 000 logements détruits et 1,5 million d'autres endommagés. Les taudis réapparaissent et la reconstruction s'organise.
Quelles sont les principales raisons du mal-logement de ces années d’après-guerre ? Les dégâts causés par la guerre, bien sûr, mais pas seulement. Trois phénomènes marquent particulièrement les années 1945-1975, celles que l'on nommera les «Trente glorieuses». Tout d'abord, la fin du malthusianisme : les Français font des enfants et la natalité croît tandis que la durée moyenne de vie s'allonge. La France n'a jamais connu une telle croissance démographique mais le baby boom n'est pas le seul responsable de cette explosion. Le processus de décolonisation, qui ramènent en France deux millions de Français expatriés, et les besoins de main-d'œuvre liés à l'expansion économique, faisant appel à l'immigration étrangère, sont autant de facteurs qui contribuent à l'augmentation de la population en région parisienne. Ce bouleversement démographique s'accompagne d'une redistribution de la population sur le territoire : les campagnes se vident tandis que les agglomérations urbaines éclatent.
Enfin, troisième phénomène, consécutif aux deux premiers, le mode de vie urbain s'impose, induisant une certaine forme de la consommation et la nature de l'habitat. En témoigne la chanson de Jean Ferrat « La montagne » qui dit « Il faut savoir ce que l’on aime, et rentrer dans son HLM, manger du poulet aux hormones », la vie urbaine est plébiscitée par rapport à la vie rurale.
En 1950, les HBM (habitations à bon marché) sont devenus les HLM (habitations à loyer modéré) mais les mal-logés continuent d'attendre. Au cours de ces années, la mobilisation générale répond à un seul objectif : livrer rapidement de nouveaux logements pour sortir les familles des taudis surpeuplés et insalubres, voire même des bidonvilles dans lesquels elles sont logées. La priorité est de leur offrir dans des délais très courts des logements sains et confortables.
Mais, dans un premier temps, pour parer au plus pressé, l'État instaure une politique nationale du baraquement. Des cités dites de « transit » poussent ici et là. Aux baraquements, on ajoute parfois des « maisons de transition », constructions plus solides, montées avec des matériaux composites, à l'aspect rapidement proche d’ailleurs de celui du bidonville. Agrémentés parfois d'un jardin et d'un poulailler, ces baraquements où une sociabilité importante s'établit seront abandonnés avec regret par leurs occupants. C’est dans ce contexte que la cité expérimentale de Merlan à Noisy-le-Sec est édifiée.
Tous n'ont pas la « chance » de se voir attribuer un baraquement et les esprits s'échauffent. Des associations lancent les premières opérations de squatt la plus célèbre étant probablement celle menés par "Christine", pseudonyme utilisé par Antoinette Brisset (traduite 52 fois devant les tribunaux), avec les militants du Mouvement populaire des familles, le MPF. D'autres tentent, avec leurs petits moyens, d'améliorer le sort des plus démunis (Propagande et Action contre les Taudis) ou s'efforcent de rénover les taudis de l'habitat ancien (comme la Croix Rouge). Mais comme on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, des ouvriers décident de construire eux-mêmes leurs maisons : c'est le mouvement des Castors. Association de gens dont ce n'est pourtant pas le métier, les Castors construisent eux-mêmes leur logement. Les cités Castors fleurissent un peu partout dans toute la banlieue comme celle du Clair Logis à Montreuil-sous-Bois.
Il faut attendre 1953 pour que le « Plan Courant », du nom de son initiateur, Pierre Courant (1897-1965) donne enfin réellement la priorité à la construction de logements. Il était temps ! Quelques mois plus tard, un fait divers bouleverse la France entière. Le 4 janvier 1954, un enfant qui vit avec sa famille dans une roulotte meurt de froid durant la nuit. L'abbé Pierre lance son appel fameux et, face à l'ampleur de la pénurie, l'opinion publique se mobilise massivement. Le mythe de l'abbé Pierre est né tandis qu'il fonde les compagnons d'Emmaüs. Cette même année sort de terre l'une des toutes premières cités de logements sociaux du Plessis-Trévise, édifiée par la fameuse compagnie de l'abbé Pierre. Suivront ce que l’on a appelé les « opérations millions » : un logement/un million (d’ancien francs). Des logements simples, aux frais de constructions réduits au minimum, dans lesquels ont pu être logés un certain nombre de familles.
En quoi consiste le Plan Courant ? En 1953, Pierre Courant succède à Claudius-Petit au Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. Il fait adopter plusieurs mesures permettant à l'Etat et aux constructeurs d'augmenter leurs capacités d'intervention avec, entres autres mesures, la création du 1% patronal. Le « plan Courant » fixe l'objectif de la construction de 240 000 logements par an. Pour atteindre ce chiffre, il favorise, grâce au lancement de chantiers de grande taille, la recherche de procédés industrialisés pour la construction. Le plus représentatif de ces chantiers est le grand ensemble de Sarcelles, entrepris en 1955. Simultanément, il donne aux collectivités territoriales « la possibilité d'exproprier les terrains nécessaires à la réalisation de zones d'habitation ».
Avec son plan, Pierre Courant lance les programmes LOGECO (logement économique normalisé), c’est-à-dire qu’il généralise un système de normes, allant de la surface des pièces à l'équipement intérieur des logements, rendant les constructions les plus économiques possible.
À côté des logements normalisés, l’industrialisation de la construction s’impose. Les conceptions urbaines des années 1950 sont largement inspirées de la Charte d'Athènes, initiée par Le Corbusier, qui privilégie l'ensoleillement, d'où la hauteur des immeubles, permettant ainsi de dégager au sol de vastes espaces verts. Cette conception a rencontré d'autant plus de succès qu'elle permettait l'industrialisation de la construction.
Des programmes de plusieurs milliers de logements neufs sortent de terre en quelques mois, selon la méthode dite du chemin de grue, permettant de réaliser de façon industrielle de longues barres ponctuées de quelques tours : Il s'agit d’utiliser une voie ferrée sur laquelle roule la grue qui élève les composants et permet ainsi d’élever rapidement plusieurs immeubles rectilignes.
Dans le cadre du Plan Courant, l’architecte Emile Aillaud (1902-1988) réalise son tout premier programme de logements sociaux à Bobigny : la cité de l’Abreuvoir. Très différente de la cité de l’Etoile-Emmaüs, pourtant sa contemporaine, l’architecture de l’ensemble de la cité de l’Abreuvoir, tout en courbe et en couleur, a pour maître d’ouvrage l’Office HLM de la Seine. Émile Aillaud, l’auteur du pavillon français de l’Exposition universelle de New-York en 1939, réalise là un ensemble comprenant 1 509 logements HLM, des commerces, un bureau de poste, une PMI et une maison des jeunes. C’est avec cette cité de Bobigny que l’architecte crée son style architectural au vocabulaire si reconnaissable.
Autre réalisation de l’architecte dans le cadre du Plan Courant et de la création du 1% patronal : la cité des Courtillières à Pantin. En juillet 1954, Aillaud propose un premier plan-masse, au parti pris général très proche de l’Abreuvoir, délimitant quatre lots devant accueillir les projets des nouveaux partenaires définis par le Plan Courant, à savoir les collecteurs du 1%, à charge pour chacun d’eux de désigner son architecte. Deux organismes nationaux, la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations (la SCIC) et l’Office central interprofessionnel du logement (l’OCIL) tout deux chargés de collecter le 1% patronal se partagent donc les terrains avec la société d’économie mixte du Conseil général de la Seine (future SEMIDEP) et l’Office Public d’HLM de la ville de Pantin.
À Noisy-le-Sec, la cité des Aviateurs est construite, elle aussi dans le cadre du Plan Courant, entre 1955 et 1960. Cette barre d’H.L.M. qui alliait rapidité d’exécution et économie de moyen est le prototype de la plupart des cités de la banlieue de cette époque. Le même principe est utilisé pour la cité Paul-Vaillant-Couturier, à Drancy, construite dans l’urgence, en 1957 et 1958.
Dernière mesure importante des années 50 : En décembre 1958, un décret définit les Zones à Urbaniser en Priorité (les ZUP). Des programmes d'une ampleur inégalée sortent de terre comme la cité des 4 000 logements à La Courneuve ou celle des 3 000 logements à Aulnay-sous-Bois. Il faut construire, beaucoup, vite et pas cher. La recherche architecturale n'est pas à l'ordre du jour. Mais, au-delà de tout ce que l'on a pu dire ou écrire sur les cités de cette période, un fait reste acquis : avec les immeubles construits le long du « chemin de grue » et la standardisation des logements, les prix baissent. Cet abaissement du coût permet d'assurer dans les logements sociaux un confort jusque-là réservé aux classes privilégiées : les sanitaires, la salle de bains, le chauffage central, l'ascenseur, le vide-ordure, etc. tout en restant à un prix accessible aux plus démunis.
Pourtant, le problème du logement est loin d’être résolu. Les campagnes continuent à se désertifier et les taudis sont toujours aussi nombreux. Les bidonvilles se développent et, paradoxalement, ce sont les immigrés algériens que l’on va chercher chez eux pour construire les nouveaux logements de la région parisienne qui se retrouvent très majoritairement dans ces bidonvilles. En 1967, un recensement permet d’évaluer à 8868 le nombre de personnes vivant dans les bidonvilles de la Seine-Saint-Denis, dont les 9/10èmes occupent les quatre grands bidonvilles de Saint-Denis (le Franc-Moisin), Aubervilliers (Chemin du halage), La Courneuve (la Campa) et Noisy-le-Grand (Château de France).
Si l’on regarde la situation du logement vingt ans après le plus fort de la crise du début des années cinquante, c’est-à-dire dans les années soixante-dix, on s’aperçoit qu’un saut quantitatif et qualitatif s’est opéré, même si nombre de logements restent en état de « surpeuplement accentué », la quasi-totalité des résidences principales dispose de l’eau courante, dans 75% d’entre elles, on trouve un point d’eau chaude, une installation sanitaire, voire des w-c intérieurs. La situation est radicalement différente que dans les années 50 et, d’ailleurs, geste symbolique, le dernier grand bidonville de la région parisienne, celui de Nanterre, est résorbé au début des années 70. On a construit entre 1965 et 1974 une moyenne de 160 000 logements HLM par an, dont 130 000 locatifs.
Dès lors, l’attention va être portée sur l’esthétique des constructions. Désormais, les offices sont toujours de grands constructeurs mais ils se situent à la pointe du progrès architectural, tant en matière d'esthétisme que dans les progrès techniques. Avec le début des années 1970, la France se détourne de ses tours et de ses barres. Terminé le quantitatif, désormais, on veut du qualitatif. A la veille de la crise économique et sociale grave qui se prépare, le niveau des exigences en matière d'habitat s'élève. Le désir de qualitatif et d'esthétisme se retrouve tant dans le privé que dans la construction des HLM.
En 1972, Paul Delouvrier crée le Plan Construction et lance les Plans d'Architecture Nouvelle (PAN) qui ouvrent la voie à de jeunes architectes grâce à des concours annuels. Le public en a assez de l'uniformité des cités et les PAN trouvent dans les HLM un terrain d'expérimentation immédiate. Cette démarche sera l'occasion pour les maîtres d'ouvrage des HLM de faire concevoir leurs opérations par de grandes signatures. Les villes nouvelles ont été à cet égard une pépinière d’expérimentations architecturales, que l’on aime ou que l’on rejette, mais elles ont eu le mérite d’exister.
Cependant, même si les enquêtes officielles laissent à penser que l’habitat des Français semble s’être amélioré, la réalité de la situation est loin d’être aussi idyllique que ne pourraient le laisser supposer les statistiques globales. Non seulement un grand nombre de logements insalubres demeurent mais les grands ensembles n’ayant pas été entretenus, ils présentent, quinze, vingt d’années après leur construction, voire davantage, des signes graves de dégradations physiques et de pauvreté sociale et culturelle. Les mal-logés n’habitent plus seulement dans les logements anciens, ils habitent aussi dans les tours et les barres qui ont vieilli beaucoup trop vite.
Depuis, l’agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), établissement public à caractère industriel et commercial, a été créé par la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, le 1er aout 2003 (article 10), afin d'assurer la mise en œuvre et le financement du programme national de rénovation urbaine (PNRU).
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