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L'ancienne manufacture d'allumettes d'Aubervilliers


L'ancienne manufacture d'allumettes d'Aubervilliers

La loi de 1810, relative aux manufactures et ateliers insalubres, incommodes ou dangereux, s'applique aux fabriques d'allumettes en raison des dangers d'incendie et d'explosion. Leur installation n'est autorisée, après une enquête publique dite commodo et incommodo, que dans des endroits éloignés de toute habitation particulière.

Les fabriques d'allumettes s'installent à Pantin et à Aubervilliers

Suite à cette loi, les fabricants d'allumettes parisiens cherchent des terrains isolés et peu chers dans les communes limitrophes de Paris. C'est ainsi que s'installent trois fabriques d'allumettes à Pantin dans les années 1850, dont celle des sieurs Lancastets et Rimailho, située sur la route d'Aubervilliers (l'actuelle avenue Edouard-Vaillant), et une à Aubervilliers, la fabrique Delabarre, au lieu-dit La Motte, rue du Vivier (actuelle rue Henri-Barbusse).

La manufacture d'allumettes de Pantin présentait un premier bâtiment donnant sur la rue et qui servait à loger une trentaine de membres du personnel, contremaîtres et ouvriers de la section des machines. Sur l'arrière se trouvaient les ateliers. L'ensemble a été démoli au début des années soixante. Sur son site a été construit le groupe scolaire Jean-Lolive.

Celle d'Aubervilliers, entièrement reconstruite à partir de 1902, était située sur une parcelle "en lanières", comme ses voisines vouées à la culture maraîchère et aux arbres fruitiers. Sur un terrain clos de mur, d'une surface de 5000 mètres carrés, se trouvaient une maison d'habitation, une douzaine d'ateliers et des hangars. En 1872, cette fabrique d'allumettes emploie 80 personnes : 20 hommes, 20 femmes et... 40 enfants ! La loi du 2 août 1872 institue la fabrication et la vente des allumettes chimiques en monopole d'Etat. Toutes les fabriques françaises sont expropriées. L'Etat choisit de confier l'exploitation de son monopole à une compagnie privée, moyennant une redevance sur la base d'une vente annuelle de 40 milliards d'allumettes. La Compagnie générale des Allumettes chimiques conserve une douzaine de sites de production parmi le millier existant sur l'ensemble du territoire français parmi lesquels le site des frères Rimailho à Pantin et celui de Madame Delabarre, à Aubervilliers, réunis en une seule direction.

Pour compléter l'ensemble, la Compagnie achète une ancienne distillerie, à Pantin, entre la rue Sainte-Marguerite et la route de Flandre (actuelle avenue Jean-Jaurès) qu'elle transforme en siège pour l'ensemble des trois établissements. C'est le site le plus important de France puisqu'il s'y fabrique 13 milliards d'allumettes sur les 27 milliards de l'année 1887.

L'invention des allumettes chimiques

L'allumette, connue depuis l'Antiquité, servait à transporter le feu d'un corps déjà en combustion. L'invention de l'allumette chimique, produisant du feu, est une nouveauté qui se propage au cours des années 1830. Cette invention consiste à tremper une extrémité de l'allumette dans une pâte chimique formant le bouton de l'allumette capable de s'enflammer par simple frottement sur toute surface rugueuse, y compris l'étoffe d'un pantalon. Face au succès immédiat emporté par tous les consommateurs, ruraux et urbains, cette invention sonne le glas des appareils peu pratiques comme le briquet en acier, à silex ou amadou.

Une enquête de 1847 dénombre 43 fabricants parisiens de cette nouvelle manière de faire du feu, employant environ 700 ouvriers. Et encore ne concerne-t-elle que les douze anciens arrondissements de Paris, avant l'annexion de 1860. Cette enquête ne prend pas en compte les ateliers familiaux et les fabriques qui commencent à s'installer en dehors de la capitale.

Au lendemain de la guerre franco-allemande de 1870, la France, en plus des frais occasionnés par la guerre, doit s'acquitter d'une lourde dette auprès de l'Allemagne. Afin de trouver l'argent nécessaire, le gouvernement d'Adolphe Thiers institue une série de mesures fiscales dont un impôt sur les allumettes. Celui-ci est perçu au moyen d'une vignette collée sur les boîtes. À cette mesure impopulaire s'ajoute un problème d'insalubrité pour les ouvriers travaillant dans les usines de fabrication. Si les débuts d'incendie dans les ateliers étaient fréquents, ils demeuraient rarement graves. En revanche, l'inhalation du phosphore blanc utilisé dans la fabrication du bouton de l'allumette rend le travail extrêmement malsain. Le "mal chimique", comme l'appellent les ouvriers, parfois mortel, provoque d'atroces mutilations. Les mâchoires nécrosées de ceux qui en sont atteints se détachent par fragments noirâtres au milieu d'abcès et de plaies horribles. Un industriel suédois, Johan Lundström (d'où leur nom d'allumettes suédoises), invente, en 1852, un procédé remplaçant le phosphore blanc par l'inoffensif phosphore rouge, supprimant ainsi tout risque pour les ouvriers. Ces allumettes dites hygiéniques, qui nécessitent un frottoir spécial sur la boîte, n'emportent pas un grand succès auprès du public. En effet, elles s'enflamment moins bien que celles que l'on frottait sur le pantalon.

Cet inconvénient qui vaut à la Compagnie le surnom de « Compagnie des bouts de bois contre l'incendie » auquel s'ajoute l'impôt provoque l'éclosion de nombre de fabrications clandestines. Des publicités vantant l'efficacité des allumettes de contrebande concentre l'attention de la Compagnie qui s'attache davantage à la poursuite des fabricants clandestins qu'à l'assainissement de ses ateliers. À la fin de 1889, le ministre des Finances résilie sa concession et confie le monopole à la Direction générale des Manufactures de l'Etat qui a déjà en charge l'exploitation du monopole du tabac. Celle-ci prend possession des usines de Pantin et d'Aubervilliers.

Une manufacture moderne remplace la fabrique Delabarre à Aubervilliers

Au siège de la rue Sainte-Marguerite, deux ingénieurs, Henri Sévène et Emile-David Cahen, mettent au point, en 1898, l'allumette idéale : une nouvelle pâte au sesquisulfure de phosphore permet de fabriquer sans danger des allumettes qui s'enflamment sur n'importe quelle surface. Poursuivant leur but d'assainissement du travail, les deux ingénieurs conçoivent une machine effectuant en vase clos les opérations de fabrication et d'emboîtage des allumettes supprimant les risques d'intoxication. L'installation de seize de ces machines « SC » (Sévène-Cahen) oblige à la reconstruction de la manufacture. Dès 1895, un terrain avait été acquis au nord de la parcelle en lanière primitive. Il s'agit d'une surface de 6 400 mètres carrés ensemencés de luzerne. Lorsqu'une loi du 5 février 1905 autorise les travaux, le service central des constructions des Manufactures de l'Etat commence la construction de la nouvelle usine sous la direction de l'ingénieur Tiburce Clugnet.

De part et d'autre d'une allée centrale, des bâtiments en U abritent les ateliers de fabrication et de paquetage, les magasins d'approvisionnement en allumettes blanches et le magasin de produits fabriqués. De conception identique, les deux longs bâtiments de quinze mètres, dont la forme est dictée par la celle de la parcelle, sont édifiés en maçonnerie de briques sur un soubassement de pierre, les baies rectangulaires et verticales sont surmontées de linteaux provenant des aciéries de Longwy. Les toitures à deux pans, couvertes de tuiles mécaniques de Montchanin, sont ponctuées de lanternons de ventilation et portées par de légères fermes métalliques empruntées au catalogue du Creusot. Devant ces deux bâtiments de production, juste derrière la grille de l'entrée, deux pavillons identiques, tels deux point sur les i de ces deux ailes, abritent, au rez-de-chaussée, les vestiaires, une loge de concierge et des bureaux. À l'étage de l'un loge l'ingénieur, le directeur habite l'autre.

Au fond de la parcelle, dans l'axe de l'allée centrale, se dresse une cheminée au milieu d'un quartier de bâtiments techniques. Les murs de brique sont ornés de motifs décoratifs, tandis que, sur les cuvettes en fonte des tuyaux de descente et sur les rives en terre cuite des pignons des ateliers, se retrouve le monogramme constitué d'un M et de deux A (Manufacture des Allumettes d'Aubervilliers). Si la fabrication manuelle nécessitait onze ouvriers pour une production d'un million d'allumettes, quatre suffisent à faire fonctionner les nouvelles machines. Les allumettiers entrevoient un moment le risque de renvoi des ouvriers en surplus, mais l'augmentation de la consommation, dépassant les 40 milliards en 1908, et la réduction à 9 heures de la journée de travail permettent le maintien des effectifs, entre 600 et 700 salariés, jusqu'à la Première Guerre mondiale. Après le conflit, ce nombre diminue progressivement sans toutefois dépasser le seuil des 300. Les allumettes, dont les ventes atteignent 80 milliards en 1960, se heurtent à la concurrence, dans les cuisines par les allumages intégrés et, chez les fumeurs, par les briquets jetables. Le déclin commence, inexorable. La manufacture d'Aubervilliers est l'une des premières à fermer, en 1962. Les autres suivront à l'exception de celle de Saintines, vendue par la SEITA en 2000. Elle continue à fabriquer des allumettes sous la marque Flam'Up.

La cheminée de la manufacture est protégée au titre des monuments historiques

À l'époque de sa construction, en 1904, la cheminée de la manufacture est considérée comme la plus belle d'Europe. Construite sur une sorte de piédestal avec son sommet coiffé d'un chapiteau, appareillés l'un et l'autre de motifs géométriques en briques rouges et blanches, ses concepteurs l'avaient dessinée pour la mettre au service d'une industrie d'Etat. Signal dans la ville, elle domine le site du haut de ses quarante-cinq mètres calculés pour résister aux pressions du vent et, comme celle de l'ancienne imprimerie de L'Illustration, elle est indissociable de son paysage malgré sa désindustrialisation.

Sa hauteur permettait d'assurer le tirage suffisant pour les chaudières des machines à vapeur qui faisaient tourner l'appareillage mécanique mais aussi les générateurs électriques. De plus, ses quarante-cinq mètres rejetaient loin les fumées de charbon mais aussi celles, jaunes et suffocantes, qui empuantissaient toue la région. Avec sa maçonnerie de brique, de meulière et de pierre de taille, son poids atteint les 1220 tonnes ! Aujourd'hui, plus que centenaire, la cheminée de l'ancienne manufacture est mal-en-point. La tempête de 1999 l'a endommagée et un morceau de l'anneau en fonte protégeant son couronnement est tombé. Un périmètre de sécurité a du être établi autour de son socle. Un arrêté du 7 avril 2005 la protège au titre des monuments historiques et un plan de financement associant l'Etat et les collectivités territoriales, soutenu par la Fondation du Patrimoine grâce au mécénat d'une société dont le siège est à Aubervilliers, a été mis en place pour sa restauration.

La réhabilitation et la réaffectation du site

En 1967, les locaux laissés vacants sont affectés par l'administration des Domaines à la Documentation française qui a pour mission de rassembler de la documentation sur la France, l'Europe et le monde, d'élaborer, éditer et diffuser des études et documents d'informations générales sur les questions d'actualité et de citoyenneté. Les anciens pavillons accueillent des bureaux tandis qu'ateliers et magasins sont affectés à des fonctions de stockage d'archives et de papier d'imprimerie, d'entreposage et de publications et de façonnage de brochures et de périodiques. Puis, La Poste installera un centre de formation dans l'un des bâtiments, édifice en béton surmonté d'un toit couvert de 18 sheds.

Au milieu des années 1990, un programme de modernisation est engagé. Des bâtiments sont démolis et laissent la place à un immeuble de bureaux édifiés selon les plans des architectes Fabrice Dusapin et François Leclercq. Résolument contemporain, notamment dans ses matériaux (aluminium, acier, verre), le nouvel édifice, inauguré en 1997, contraste avec l'architecture manufacturière des années 1900 bien que ses deux longs bâtiments symétriques, situés en retrait, respectent la longitudinalité caractéristique du site depuis sa création. Une passerelle à deux étages, galerie entièrement vitrée, les relie, laissant voir, à l'arrière-plan, le paysage où se dresse la cheminée monumentale.

Après le départ de la Documentation Française, la Manufacture d'Allumettes d'Aubervilliers devait connaître une nouvelle vocation. C'est en effet sur ce site que le cinéaste Michel Gondry avait prévu d'installer l'Usine de Films Amateur, étonnant dispositif permet à tous les publics de fabriquer des films, mais le projet n'a pu se faire.

Institut National du PatrimoineAu printemps 2015, l'Institut National du Patrimoine déménage de la Plaine Saint-Denis s'installe dans les locaux réhabilités. La réhabilitation a été conçue pour le bien des élèves, moderne mais respectueux de l'esprit et du passé industriel des lieux. Cet institut national est un établissement d'enseignement supérieur du ministère de la culture et de la communication qui forme aux métiers de conservateur et de restaurateur.

Assistez à une visite guidée exceptionnelle pour découvrir la manufacture d'allumettes et entrer dans les ateliers de formation à la restauration, rencontrer élèves et enseignants et assister au travail de restauration.

Il est possible de louer des espaces pour des événements d'entreprise à L'institut National du Patrimoine.

Ancienne manufacture d'allumettes d'Aubervilliers
124 rue Henri-Barbusse

93300 AUBERVILLIERS
48.9107304 , 2.391329400000018
Ancienne manufacture d'allumettes d'Aubervilliers, 124 rue Henri-Barbusse, 93300 AUBERVILLIERS
Accès Accès
Vélib' : André Karman - République
45m
Vélib' : République - Henri Barbusse
48m

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