La cité de la Muette à Drancy a été édifiée au début des années 1930, à la demande d’Henri Sellier, fondateur et administrateur de l’un des premiers offices publics d’habitation à loyer modéré (HBM), celui de la Seine. Dans un contexte de naissance d’une politique de financement public du logement social en France, le projet avait pour but d’offrir au plus grand nombre des conditions de vies décentes, tout en rompant avec le développement anarchique de la banlieue, et en constituant un nouveau quartier de Drancy comportant tous les commerces et tous les services nécessaires à la vie d’une cité. Conçu comme une cité jardin moderne et innovante, le projet est confié à deux architectes du mouvement moderne : Eugène Beaudouin et Marcel Lods. La cité de la Muette répond alors à des normes d’hygiène et de confort inhabituelles pour l’époque et est l’occasion pour les deux architectes de mettre en œuvre des méthodes de fabrication industrielles standardisées innovantes, ce qui lui vaut une renommée internationale.
Bien que désignée comme une « cité-jardin » par son maître d’ouvrage, la cité de la Muette est un premier « grand ensemble » français. L’expression est d’ailleurs inventée par la critique architecturale (Maurice Rotival-1935) à l’occasion notamment de la construction de cette opération de logements social considérée comme exemplaire. C’est ce modèle qui sera dupliqué partout en France après la guerre. Le projet est constitué de cinq tours auxquelles sont associés des bâtiments en forme de « peignes », ainsi que d’un vaste bâtiment en U. Toutefois, le chantier de la Muette est contrarié par la crise économique qui survient au milieu des années 1930. Il reste donc inachevé pendant que les logements déjà construits sont mis à la location. Mais malaimés et loués relativement chers dans le contexte de crise, « les premiers gratte-ciel de la région parisienne » trouvent peu de locataires. Ainsi, Henri Sellier décide de louer les tours et les peignes à la 22° légion de gardes mobiles de la gendarmerie, pendant que le bâtiment en U reste vide.
En septembre 1939, le gouvernement de la IIIe République y interne des ressortissants allemands et autrichiens, vite transférés dans les camps du Sud de la France du fait de l’avancée des troupes allemandes. A partir de juillet 1940, les Allemands utilisent le bâtiment en forme de U pour interner des prisonniers de guerre français et britanniques puis des « ressortissants de puissances ennemies » (civils anglais et du Commonwealth). En août 1941, la politique allemande de représailles des « menées judéo-bolchéviques » entraîne l’arrestation de nombreux juifs de l’est parisien. Le bâtiment en U leur est exclusivement réservé : le camp des Juifs est créé. A partir de l’été 1942, il devient le principal camp où sont rassemblés, en vue de leur déportation à Auschwitz-Birkenau, les Juifs raflés sur tout le territoire français. De juillet 1942 à juillet 1943, les convois partent de la gare de Drancy-le Bourget. Jusqu’à cette date, la gestion du camp est confiée aux autorités françaises – la surveillance est assurée par la gendarmerie. A partir de juillet 1943, avec l’arrivée à Paris d’un nouveau dirigeant nazi, Aloïs Brunner, la gestion du camp est reprise par les services allemands. Le régime de détention est modifié et Brunner choisit aussi un nouveau lieu de départ pour Auschwitz Birkenau : la gare de Bobigny. Au total, sur les 74 000 juifs déportés de France, 67000 sont partis de Drancy, essentiellement vers Auschwitz-Birkenau.
Après l’épuration, période pendant laquelle des collaborateurs furent internés à Drancy, en 1946, le bâtiment en U retrouve sa vocation de logement social. Les gendarmes sont maintenus dans les lieux jusqu’en 1976 quand tours, peignes sont détruits par le Ministère de la Défense pour y construire une nouvelle caserne. Des cérémonies sont organisées par des associations de victimes et des organismes religieux (consistoire) dès l’immédiat après-guerre. Une première série de plaques est apposée à l’entrée de la Cité au début des années 1960 du fait aussi de l’action de la mairie de Drancy. En 1973 l’érection d’un mémorial, à l’entrée de la cité de la Muette, est confiée au sculpteur Schlomo Selinger. Pour compléter cette « mise en scène mémorielle » portée par la Ville, un wagon de la déportation est inauguré en 1990. Il est classé au titre des objets immobiliers par le ministère de la culture la même année. A cette date le Conservatoire historique du camp de Drancy s’installe dans un local situé en rez-de chaussée de la cité de la Muette, bientôt suivi par l’AFMA (association fonds mémoire d’Auschwitz). En 1980, lors de la construction du gymnase qui jouxte la cité et le groupe scolaire un tunnel creusé par les internés en septembre 1943 est découvert.
Le 25 mai 2001, la cité est classée Monument Historique en tant que « réalisation architecturale et urbanistique majeure du XXe siècle […] et en raison également de son utilisation durant la Deuxième Guerre mondiale d'abord comme camp d'internement, puis comme camp de regroupement avant la déportation, qui en fait aujourd'hui un haut lieu de la mémoire nationale ». Le 6 mai 2002, le tunnel est à son tour classé. En 2005, Simone Veil annonce la construction à Drancy d’un Centre d’histoire et de mémoire, lié au Mémorial de la Shoah. Ouvert depuis le 23 septembre 2012 au public et aux scolaires le Mémorial de la Shoah à Drancy accueille le public mais également les scolaires sur plusieurs niveaux, modules numériques, témoignages.
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Extrait de l'étude "valorisation et mise en réseau des lieux de mémoire de l'internement et de la déportation en Seine-Seine-Denis", réalisée par Topographie de la mémoire (Anne Bourgon, Hermine de Saint-Albin et Thomas Fontaine).
Auteur : Anne Bourgon