L'origine du nom de La Courneuve, curia noa, "nouveau domaine", fait référence aux colons que l'abbé Suger installa dans le bourg de Saint Lucien pour affirmer la prédominance de l'abbaye de Saint-Denis sur l'espace agricole local. En fait, un village gallo-romain devait exister en ce lieu depuis le IVe siècle, comme le prouve la nécropole gallo-romaine découverte dans le nord de la commune. Des vestiges de l'ancien cimetière ont été exhumés de l'église actuelle, laissant supposer qu'un lieu de culte chrétien se trouvait à cet emplacement au VIIe siècle.
Église Saint-Lucien. Photo : Emmanuelle Jacquot © Département de la Seine-Saint-Denis
Un premier oratoire aurait été édifié en 1015 à l'initiative de Robert le Pieux. Mais c'est vers 1180 que l'église primitive de Saint-Lucien est élevée. Elle est placée sous le vocable de Saint-Lucien La dédicace de cet édifice primitif s'est probablement faite sans relique car, à cette époque, il suffisait qu'un lieu de culte possède un fragment de linge ayant touché les ossements, voire le tombeau d'un saint pour être consacré. Sous l'impulsion de l'abbé Suger, les religieux de Saint-Denis installent dans l'ancien bourg plus de quatre-vingts nouveaux « hôtes ». Ceux-ci plantent, aux frais de l'abbaye, un enclos de vigne de quatre-vingts arpents (environ vingt-sept hectares), symbolisant ainsi la suprématie des moines sur ces terres.
Au XIIIe siècle, l'augmentation de la population permet au village d'être érigé en paroisse. Mais, lors des guerres de religions, au XVIe siècle, l'église est détruite. Seule la base du clocher subsiste et est toujours visible. Le bâtiment est reconstruit en 1580. C'est un édifice à trois nefs dont les fondations correspondent à peu près à celles du bâtiment actuel. Une plaque, encastrée dans le mur, à droite de l'entrée, atteste en écriture gothique de la consécration de l'église le 26 juin 1580.
Au XVIIIe siècle, une nouvelle façade est ajoutée et, en 1839, une horloge agrémente l'ensemble. Les deux cloches sont placées dans le clocher en 1771. L'une, baptisée Charlotte-Françoise, du nom de la dame du lieu, est l'œuvre de Louis et Charles Gaudiveau, membres d'une célèbre famille de fondeurs à qui l'on doit de nombreuses cloches de la région parisienne. Une inscription, fondue à la cire, rappelle les personnages importants de l'ancien bourg comme, entre autres, Véran Gaultier, curé de la paroisse au moment de la Révolution française, rédacteur du cahier de doléances des Courneuviens à l'occasion de la réunion des états généraux de 1789. La seconde cloche, Marie-Mathilde, a été fondue par A. Hildebrand, fondeur de l'empereur. Les deux bénitiers « coquilles » datent aussi du XVIIIe siècle. En 1929, l'église est agrandie. Une nouvelle travée est construite à l'Ouest, la façade est modifiée et une nouvelle entrée est ouverte.
Il y a peu d'églises en région parisienne placées sous l'invocation de saint Lucien. L'église de La Courneuve appartient à celles-ci. Saint Lucien a été un temps le compagnon de saint Denis et son martyr et la légende qui l'accompagne sont les mêmes que ceux du saint qui donna son nom à la Basilique cathédrale. Issu d'une illustre famille de Rome, Lucius se convertit après avoir entendu une prédication de saint Pierre. Il parcourt l'Italie en prêchant l'Évangile aux païens. Vers 250, le pape saint Clément le consacre évêque et l'envoie dans les Gaules afin d'évangéliser ces contrées. Il est accompagné de sept autres prédicateurs dont saint Denis et saint Rieul.
Après avoir séjourné à Pavie où ils convertissent de nombreux païens, ils parviennent jusqu'à Arles où Rieul s'arrête. Denis et Lucien continuent vers Lutèce. Denis s'y installe tandis que Lucien poursuit seul vers Beauvais. Le Beauvaisis est alors aux mains des Romains. Lucien doit faire face au paganisme de ces derniers, au fanatisme des druides et à l'ignorance des Gaulois. Denis et Rieul viennent souvent lui rendre visite, le confortant dans son apostolat. Il sanctifie son corps, se retire fréquemment sur une montagne voisine, jeûnant, se nourrissant d'herbes et d'eau. Il obtient un grand nombre de conversions et s'adjoint deux compagnons pour l'aider dans sa tache, Maxien et Julien. Ensemble, ils parcourent Beauvais mais aussi les bourgades et les campagnes voisines. Vers 290, l'administration de l'empereur Dioclétien décide d'y mettre un terme. Poursuivis par les Romains, Maxien et Lucien sont décapités. Julien est battu de verges puis, devant son refus d'abjurer sa foi, un soldat lui tranche la tête.
C'est alors qu'intervient la légende. Maxien et Julien sont inhumés sur place mais, lorsque le corps de Lucien est étendu sur le sol, les assistants le voient entouré d'un halo de lumière. Puis, Lucien se lève, prend sa tête dans ses mains et marche vers la ville de Beauvais. Après avoir traversé la rivière du Thérain à Miauroy sur un drap miraculeusement raidi sous ses pieds, il s'arrête à près d'un quart de lieue de Beauvais, semblant indiquer l'endroit où il souhaite être inhumé. Là, des chrétiens lui donnent une sépulture. Selon une tradition locale, sur les lieux où coula son sang, il pousse des rosiers aux fleurs vermeilles. Le lieu du martyr s'appelle « la Rosière ».
Sous une architecture plutôt modeste, l'église Saint-Lucien de La Courneuve abrite une statuaire intéressante en bois polychrome offerte à la paroisse par le sculpteur Pierre Dubos (1889-1974), de beaux tableaux et des sarcophages mérovingiens conservés dans la crypte. Pierre Dubos était un élève de Bourdelle ayant réalisé de nombreuses sculptures sur pierre et sur bois. Certaines d'entre elles sont toujours visibles dans l'église Saint-Germain-l'Auxerrois à Paris, Saint-Martin à Bezons ou Notre-Dame-de-la-Mer à Vernon. Cet artiste a fait don à l'église Saint-Lucien de La Courneuve d'un triptyque, réalisé en terre cuite et en bois, évoquant le « mystère de l'église » à travers la représentation de La Pentecôte, Le Baptême de Jésus et L'Enfant Prodigue. Sa famille a offert un calvaire en bois, grandeur nature, réalisé au XIXe siècle. Le Christ en croix est entouré de deux statues, l'une représentant la Vierge, l'autre saint Jean.
Les deux tableaux que l'on peut voir en l'église Saint-Lucien sont remarquables à double titre. Le premier, une Vierge à l'Enfant avec Saint Joseph a été réalisé en 1589 par Martin Fréminet (1567-1619). Cet artiste est le fils du maître peintre Frédéric Fréminet. Jeune, il parcourt l'Italie et se met un temps au service du duc de Savoie. De retour à Paris, en 1603, Martin Fréminet est nommé peintre du roi, puis devient maître de dessin du dauphin, le futur Louis XIII. Les fresques de la chapelle de la Trinité à Fontainebleau figurent parmi ses œuvres maîtresses. Le second tableau, La Vierge présentant l'Enfant Jésus à saint Lucien et saint Nicolas, est une copie du XIXe siècle d'une toile de Florentin Lorenzo di Credi (1459-1537), célèbre imitateur de Léonard de Vinci et dont l'original se trouve au Louvre.
Sarcophages mérovingiens en plâtre
Des fouilles, réalisées autour et à l'intérieur de l'église Saint-Lucien, ont permis de mettre à jour une cinquantaine de sarcophages mérovingiens en plâtre datés des VIIe-VIIIe siècles. Ce sont ces sarcophages qui attestent de la présence d'une communauté chrétienne en cet endroit depuis le VIIe siècle. Disposés en rangées, beaucoup d'entre eux présentent des panneaux décorés par des motifs géométriques ou anthropomorphes. L'un d'entre eux offre une représentation humaine tout à fait réaliste bien que schématisée. Ces sarcophages ne contiennent plus de mobilier funéraire car ils ont été violés à plusieurs reprises.