Avec les années 1930, l'architecture industrielle se caractérise sur la scène française et internationale par la diffusion du Mouvement Moderne. Parmi les réalisations les plus proches de ce mouvement figurent le Bronze Industriel (1934) et l'ancienne usine BSN (1930), toutes deux situées à Bobigny et la distillerie Cusenier, construite en 1939 à La Courneuve. Les origines et le succès de l'architecture de brique dans le monde industriel semblent être dus à la publicité faite autour de la nouvelle imprimerie de L'Illustration inaugurée en 1933, à Bobigny, en plein champ, en présence du ministre de l'Intérieur.
La revue L'Illustration fondée en 1843, emporte un grand succès auprès du public grâce à l'idée originale de son créateur qui insert de nombreuses illustrations, croquis et photographies (d'où son nom) afin d'agrémenter les reportages et les enquêtes. Moins d'un siècle plus tard, au début des années 1930, le journal tire à plus de 200 000 exemplaires. Il faut impérativement s'agrandir et se moderniser, d'autant que la direction souhaite s'équiper de machines permettant les nouveaux procédés de l'héliogravure et de l'offset, afin de reproduire dessins et photographies en couleur. Les bureaux parisiens de la rue Saint-Georges sont conservés, mais le directeur de l'hebdomadaire acquiert, en 1931, trente hectares de terrains maraîchers à Bobigny, sur le site de la Vache-à-l'aise, aujourd'hui haut lieu des fouilles archéologiques balbyniennes, pour y construire sa nouvelle imprimerie.
Le secrétaire général de la Société, Louis Baschet est à l'origine de la conception du projet de la nouvelle imprimerie, conception basée sur deux principes essentiels : rationalité et esthétique. Pour ce qui concerne la rationalisation, toutes les étapes de la production sont concentrées dans le même lieu. Les trois niveaux de l'édifice correspondent aux trois étapes de la fabrication d'un numéro de la revue : composition, impression, reliure, limitant ainsi les allées et venues. Lors de son inauguration, L'Illustration sort un numéro spécial, celui du 1er juillet 1933, entièrement consacré au nouveau bâtiment, fer de lance de l'architecture industrielle de ces années, et dans lequel on peut lire : « Louis Baschet, depuis des mois, retournait dans son esprit le plan de la future usine. Pour parfaire sa documentation, il avait visité les principales installations similaires, si tant est qu'il en fut, en France et à l'étranger. Il avait fait des voyages d'études aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne. Et puis, n'avait-il pas auprès de lui des collaborateurs d'une compétence sûre : René Lefébure, chef des services des dessins de L'Illustration pour la partie décorative, Henri Hischmann, ingénieur de L'Illustration pour la partie technique ? C'est avec eux exclusivement qu'il voulut travailler. Louis Baschet, René Lefébure et Henri Hischmann, auquel il faut ajouter son adjoint, Henri Tannière, ont été véritablement le cerveau d'où est sortie dans son armature d'acier et de béton, son ordonnance rationnelle et harmonieuse, son équipement et son outillage perfectionnés, l'usine de Bobigny. »
Le poids des machines impose de lourdes charges aux planchers et la structure métallique classique est remplacée par un système de poteaux-poutres en béton armé. Ce système, moins onéreux, autorise de plus grandes portées dont les charges peuvent atteindre 4000 kg/m2. L'encombrement des machines de l'époque dicte la dimension des locaux dont les travées du rez-de-chaussée atteignent 25,50 mètres de long et 6 mètres de hauteur sous plafond, 5 mètres pour le premier étage et 3,8 mètres pour le deuxième.
Le soubassement, la corniche et l'étage supérieur sont en ciment-pierre. La façade n'est pas montée en brique mais recouverte d'un habillage de briques rouges. Ces briques ont été réalisées exclusivement pour L'Illustration par une entreprise belge. La toiture est en terrasse. Le terrain, marécageux à cet endroit, nécessite l'enfouissement de 516 pieux pour supporter la structure en béton armé. L'embranchement ferroviaire desservant l'usine voit passer des wagons apportant, pour la construction, pas moins de 65 000 sacs de ciment, 13 000 mètres cubes de gravillon et de sable, 1 500 tonnes d'acier, 1 500 000 briques, 1 400 000 dalles de carrelage pour le sol, 6 000 mètres carré de vitres et une véritable forêt de bois pour les étaiements, les échafaudages et les coffrages !
Pour ce qui concerne l'esthétique, l'usine, proche du Mouvement Moderne, composée d'un grand bâtiment de trois étages aux longues façades horizontales de 141 mètres de long et 90 mètres de large, percées de larges ouvertures permettant l'entrée de la lumière, s'organise autour d'une cour-jardin et d'une cour couverte de sheds. Une tour de huit étages, haute de 64 mètres et surmontée d'une horloge démesurée, est construite à l'angle sud du bâtiment. Son dernier étage contient un réservoir d'eau de 350 mètres cube, alimenté par un forage souterrain, destinés aux sanitaires et à la sécurité incendie de l'usine. L'usine possède sa propre centrale électrique et, la nuit, quatre grands projecteurs éclairant les cadrans de l'horloge, vaut à la tour le surnom de « phare de Bobigny ».
Les bâtiments abritant la force motrice, le chauffage, le garage et les ateliers de réparations sont isolés de la fabrication afin de limiter les risques d'incendies. L'entrée principale du bâtiment est située au pied de la tour dont le vestibule est tapissé de marbre. La gigantesque imprimerie de L'Illustration constitue, en 1933, une nouvelle génération de bâtiments industriels, décrite comme le modèle de l'usine construite à la campagne, sa tour accentuant la géométrie horizontalité-verticalité de l'ensemble. La tour, tel un sémaphore, perdure dans le paysage balbynien Durant la Seconde Guerre mondiale, L'Illustration continue de paraître et devient un outil de la propagande nazie sous la direction de Jacques de Lesdain, un collaborateur zélé. Interdite à la Libération, la revue renaît en 1945 sous le titre de France-Illustration jusqu'en 1957. Puis, disposant d'un personnel hautement qualifié et d'un parc de machine de grand niveau technique, l'usine imprime différentes revues, des livres d'art, des guides de musées, voire des reproductions de tableaux. Pourtant, malgré d'importantes luttes syndicales menées par les derniers 300 ouvriers de ce bastion de l'impression de qualité pour empêcher sa fermeture, l'imprimerie arrête de fonctionner en 1971. Après avoir servi d'entrepôts à la SET, une société de transport dont le nom est resté gravé en haut de la tour jusqu'en 2003 (bien qu'elle ait quitté les lieux depuis les années 1980), les locaux sont abandonnés. La Ville de Bobigny les rachète en 1990 et les cède au franc symbolique à l'Université Paris-XIII.
En 1998, la réhabilitation du lieu, par les architectes Paul Chemetov et Borja Huidobro, commence et les premiers étudiants s'y installent dès l'année suivante. Les nouveaux locaux sont inaugurés en janvier 2000. Les architectes ont respecté l'ancien bâti tout en l'adaptant à sa nouvelle destination, réalisant des locaux spacieux, agréables et lumineux. Le sommet de la tour a retrouvé une nouvelle horloge en 2003 et affiche un nouveau logo, celui de Paris-XIII. Tel un sémaphore rappelant le passé industriel balbynien, elle est indissociable du paysage. Pôle important de l'IUT de l'Université Paris-XIII, l'ancienne imprimerie accueille aujourd'hui plus de 7000 étudiants.
Illustration Université Paris XIII Bobigny © Guy Bréhinier / Département de la Seine-Saint-Denis