Dans leur grande majorité, les formations villageoises correspondent aux anciens fiefs, propriétés de seigneurs laïcs mais surtout ecclésiastiques. Depuis les Mérovingiens, ayant fait preuve d’une grande générosité envers l’Église afin de se la concilier, et jusqu’au XVIIe, voire parfois le XVIIIe, le Chapitre de Notre-Dame de Paris, l’abbaye de Saint-Denis et celle de Saint-Germain-des-Prés se partagent la région parisienne. À ces grands domaines s’ajoutent des possessions ecclésiastiques plus modestes (Saint-Martin-des-Champs par exemple) ainsi que les possessions des seigneurs laïcs qui, le plus souvent, demeurent vassaux des seigneurs religieux.
On distingue plusieurs typologies agraires dont la répartition géographique est encore repérable grâce aux vestiges qui demeurent dans nos communes. En revanche, les espaces couverts de bois et forêts ont presque tous disparu avec l’expansion urbaine.
Le "pays des fermes", terres exploitées en grands corps de ferme, représente 41% des 20 000 hectares de la surface agricole totale constituant l’actuel département de la Seine-Saint-Denis en 1786.
Le vestige le plus ancien, situé à Noisy-le-grand, passage Alexandre, date du XVe siècle. Le lieu appartient aux moines de Saint-Martin-des-Champs qui y possèdent une ferme. Seigneurs de haute justice (ayant le pouvoir de vie et de mort sur leurs sujets), ils partagent leurs terres en fiefs laïcs à des seigneurs ne pouvant exercer que basse et moyenne justice.
L’entrée de l’ancien bâtiment agricole de l’hostel de Beauvais est l’un des rares vestiges de l’architecture civile au XVe siècle. Les arcs constituant l’entrée demeurent bien visibles bien qu’ils aient été intégrés dans un mur-pignon d’une bâtisse postérieure. On y distingue parfaitement l’ancienne porte piétonne et la porte charretière de forme ogivale, désormais encastrées dans le nouveau mur.
La ferme de Montceleux, avenue Gabriel-Péri à Sevran, semble être le bâtiment le plus ancien encore conservé. Construite au XVIIe siècle, elle est la propriété des moines bénédictins de Saint-Martin-des-Champs jusqu’à la Révolution. La ferme change de propriétaires à plusieurs reprises au XIXe siècle. Elle est aujourd’hui propriété municipale. Le domaine de Montceleux a été aménagé en parc couvrant une douzaine d’hectares.
Les grandes exploitations de l’actuel département de Seine-Saint-Denis sont assez bien groupées et forment ce que les historiens appellent "le pays des grandes fermes". Ce sont Aulnay, Bondy, Drancy, Dugny, le Blanc-Mesnil, Sevran, Villepinte et Tremblay qui rassemblent les sept dixièmes des terres exploitées en grands corps de ferme au XVIIIe siècle dans les limites actuelles du département. Un nombre de bâtiments non négligeable sont encore visibles au Blanc-Mesnil, à Tremblay et à Villepinte.
Au Blanc-Mesnil, la ferme Notre-Dame avec ses bâtiments construits sur un plan carré et son grand portail, est caractéristique des fermes de la plaine de France. Elle apparaît dans l’histoire de la commune comme l’une des quatre fermes majeures du vieux pays. Son activité n’a cessé qu’en 1972, date à laquelle elle est réhabilitée en centre de loisirs. Située dans le parc urbain Jacques-Duclos, elle abrite de nombreux ateliers sportifs et culturels.
La ferme du Petit Groslay, avenue Paul-Vaillant-Couturier, doit son nom à sa situation sur l’ancien domaine agricole de Groslay. Au XVIIIe siècle, la ferme du Petit Groslay possède des bois et exploite un vaste domaine agricole de près de dix hectares, principalement axé sur la production laitière. Le porche charretier ouvre sur une large cour entourée des bâtiments d’exploitation. La ferme est aujourd’hui un centre aéré qui accueille les enfants du sud de Blanc-Mesnil.
Toujours au Blanc-Mesnil, la ferme du Moulin, rue Edouard-Renault, aurait été construite vers 1307, dans la rue principale du village. C’est l’abbaye de Senlis qui a commandité cette construction afin d’être plus aisément fournie en farine grâce au moulin situé au milieu de la cour de ladite ferme. Ce moulin seigneurial est, au Moyen-âge, un moulin "banal", c’est-à-dire que les paysans sont tenus de venir y moudre leurs grains moyennant une redevance au seigneur. Aujourd’hui disparu, le moulin est resté en activité jusqu’en 1914. Détruite pendant la Révolution, la ferme est entièrement reconstruite pendant la Restauration (1814-1830). Les charpentes de la grange et de la forge de la ferme du Moulin conservent les structures en poutres de châtaigniers datant de la reconstruction des bâtiments après la Révolution. En 1979, un entrepreneur achète la ferme et y installe une corderie. De nouveaux bâtiments ont été ajoutés et la ferme du Moulin abrite actuellement la Corderie nationale.
Si l’on compare les cartes anciennes à des cartes récentes, une similitude évidente apparaît entre le bourg de Tremblay sous l’Ancien régime et le Vieux-Pays d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs dans les limites supposées du "vicus" primitif, formées par une partie de la rue Louis-Eschard (anciennement rue du Puits-Hazard), de la rue des Fossés et de la route de Roissy, que se trouvent les plus belles fermes du Vieux-Pays. Si la ferme de Mortières a été démolie à l’occasion des travaux de construction de l’aéroport Charles-de-Gaulle, quatre grandes fermes datant du XVIIIe siècle demeurent encore visibles : la grange Cuypers de la ferme Popot, allée du Moulin-Maheux, la ferme Chalmassis, rue du Chemin-Vert, la ferme Zaffani, rue Louis-Eschard et la ferme Conac, place de la Mairie. Enfin, à ces bâtiments, il convient d’ajouter la Grange-aux-dîmes de la ferme monastique des abbés de Saint-Denis.
La plupart des fermes tremblaysiennes sont céréalières. Construites en moellons recouverts de plâtre, elles s'organisent en rectangle autour d’une grande cour dans laquelle on pénètre par une imposante porte charretière. Même si ce modèle est récurent, chacune de ces fermes possède sa particularité. Le toit des bâtiments de la ferme Conac constitué de deux pentes fortement prononcées est recouvert de tuiles plates, elles-mêmes percées de lucarnes caractéristiques de la région. Ces ouvertures, de forme rectangulaire, sont protégées d’une toiture à deux pentes et d’une croupe. Si l’on excepte les lucarnes du toit, la façade de la ferme Conac rappelle, dans sa structure, la façade du Château bleu.
Dans une exploitation agricole, le nombre des granges est primordial. Celles de la ferme Zaffani présentent la particularité de posséder toutes de monumentales portes charretières, comparables à celles des entrées principales de fermes. La porte charretière d’entrée de la ferme Zaffani avec ses montants en pierre et son linteau constitué d’une poutre transversale est, de plus, surmontée d’un pigeonnier.
La ferme Chalmassis est différente des précédentes car ses bâtiments sont construits en bordure de rue. Aussi, le portail d’entrée est en retrait. Elle se démarque des autres bâtisses par la composition de ses ouvertures et leur ornementation ainsi que la présence de cheminées. Elle doit son nom au baron Mallet de Chalmassis, régent de la Banque de France sous l’Empire, qui l’acquiert en 1871.
Enfin, vestige d’une culture autre que céréalière, la grange de la ferme Popot appartient à ces exploitations qui cultivaient également la betterave. Cette diversité entraîne à la fin du XIXe siècle l’implantation dans la commune d’une sucrerie et de deux distilleries, aujourd’hui disparues.
Pas moins de cinq fermes encore en partie debout témoignent de l’importance de l’exploitation en grands corps de ferme à Villepinte. La ferme du Marais, rue du Manège, est située sur l’ancien lieu-dit "le Petit Marest" cité dans les textes anciens au XVe siècle. Elle était principalement vouée à l’élevage des chevaux et présente un grand haras en parfaite conservation. Au début du XXe siècle, Villepinte compte encore une bonne centaine de chevaux utilisés pour le travail de la terre. Dans la cour de la ferme, subsiste une pompe à bras tirant son eau de l’une des nombreuses nappes phréatiques peu profondes du sous-sol villepintois.
Les villageois se sont alimentés à des pompes comme celle-ci ou à des puits avant l’installation de l’eau courante en 1930. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, quatre grandes exploitations se partagent les cultures de Villepinte. Les fermes Godier, 38 rue Henri-Barbusse, et Dauvergne, 42-44 rue Henri-Barbusse, appartiennent à l’un de ces grands domaines, la propriété Papillon. Dauvergne est l’un des noms les plus anciens de Villepinte puisqu’on le trouve cité dans un arpentage de 1491. Avec la ferme Dejaiffre, également dans la rue Henri-Barbusse, les fermes Godier et Dauvergne constituent un ensemble caractéristique de l’architecture rurale qui confère tout son charme au vieux Villepinte.
Rue de la Ferme, à Gournay-sur-Marne, une bâtisse construite au début du XVIIIe siècle, se présente sous une forme en courbe du côté de l’ancien porche d’entrée. C’est le bâtiment d’habitation du fermier laboureur de Gournay-sur-Marne.
Face aux "manouvriers" qui n’ont que leurs bras pour survivre, s’élève une caste de paysans plus riches, les "laboureurs", possédant au moins un attelage et un outillage spécialisé. Le fermier laboureur de Gournay-sur-Marne appartient à ces derniers. Ne détenant que neuf arpents de terre pour sa ferme, il trouve de l’ouvrage dans les communes voisines telles que Noisy, Lognes et Champs-sur-Marne où il peut, grâce à son outillage, exploiter d’autres parcelles. Par ailleurs, cette ferme a le privilège de posséder sur son territoire le potager du château de Gournay. À cette époque, de nombreux bâtiments, disparus aujourd’hui, sont rattachés à la ferme.
À Epinay-sur-Seine, dont le territoire est partagé entre plusieurs domaines jusqu’à la Révolution, la rue du Mont rappelle l’un de ces anciens fiefs appartenant à un seigneur laïc, le sieur François Choart. Au 8 de la rue du Mont, on peut voir la porte de l’ancienne ferme de ce domaine avec ses bornes chasse-roues. Ces bornes servaient à éviter aux charrettes de s’approcher trop près des murs afin de ne pas les endommager.
Avenue du général Leclerc, à Sevran, l’ancienne ferme de la Fossée appartenait au domaine du même nom, exemple de ces grandes propriétés terriennes de l’Ile-de-France exploitées "en grands corps de ferme " au XVIIIe siècle. La ferme, bien conservée pratiquement dans son intégralité, abrite aujourd’hui le centre de loisirs Paul-Eluard. Les écuries formant l’aile droite de la ferme de la Fossée ont été ajoutées au XIXe siècle.
Avec la Restauration, les villes changent d’aspect et l’explosion des villes industrielles pose un problème, celui du ravitaillement. Pailleux et maraîchers investissent la banlieue avec l’architecture si reconnaissable de leurs maisons mais sans commune mesure avec les grandes fermes. Les pailleux sont souvent d’anciens viticulteurs ou maraîchers ruinés, les premiers par le phylloxéra, les seconds par le rude hiver de 1880, qui se reconvertissent dans le commerce de la paille. Entre 1880 et 1900, ce négoce est florissant.
La maison d’un pailleux se caractérise par un plan à cour fermée. Le bâtiment de façade se divise en deux parties avec, d’un côté, une habitation à deux niveaux et des combles, pour loger les charretiers et les valets et, de l’autre, une vaste grange ouvrant sur la rue par une immense porte occupant toute la hauteur du bâtiment. La dimension de ces portes correspond à la taille des charrettes, tirées par des percherons. Pleines de paille, elles atteignent quatre mètres de haut et pèsent jusqu’à cinq tonnes. La largeur particulièrement importante de certaines rues du vieux Vaujours atteste de la difficulté à man½uvrer ces attelages impressionnants. À Vaujours, où il est encore possible de voir certains de ces bâtiments rue Alexandre-Boucher et rue de Meaux, le dernier pailleux a cessé son activité en 1983.
Les maraîchers doivent leur nom à leurs ancêtres parisiens qui cultivaient les marais de la capitale situés à l’emplacement de l’actuel quartier dit "du Marais". Lorsqu’ils s’installent en banlieue, au XIXe siècle, ils élèvent systématiquement des murs autour de leurs parcelles, appelées des "marais", souvent carrées, donnant naissance à un nouveau paysage agricole.
Au milieu du XXe siècle, les cultures maraîchères du nord de Paris s’étirent de Bobigny à Stains en passant par La Courneuve, Aubervilliers et Saint-Denis. L’habitation et le marais se signalent de loin grâce au réservoir à eau, passé au goudron, et disposé en hauteur afin de recevoir les eaux de pluie.
À La Courneuve, deux maisons de culture sont encore visibles rue Villot et rue de l’Abreuvoir. Cette dernière abrite le musée des cultures légumières.
Aubervilliers, qui constitue avec La Courneuve la plaine des Vertus, possède deux maisons maraîchères. L’une, la ferme Mazière située 70 rue Heurtault, appartient aujourd’hui à la commune, la seconde, au 3 rue Chapon, conserve, malgré de grosses transformations postérieures, sa façade reconnaissable et sa porte charretière ainsi que les pavés d’origine de sa cour.
Plaine Commune Terre fertile, un territoire à découvrir
À Bobigny, rue de la République, demeurent deux maisons de maraîchers dont l'une a conservé sa citerne. Mais c'est à Stains, rue d'Amiens, que l'on peut voir réunies plusieurs de ces citernes. Signal d'un temps révolu et entourées de marais encore cultivés, elles donnent un aperçu de ce que pouvait être le paysage de la banlieue du maraîchage.
Il existe à Noisy-le-Sec un "hameau" de maraîchers, 55 rue Merlan. Petite cité s'ouvrant sur une cour pavée, elle regroupe l'habitat de plusieurs familles d'agriculteurs maraîchers. Ce site existe déjà au VIIe siècle où il est mentionné sous le nom de hameau de Merlan. Il forme une seigneurie indépendante de Noisy de l'an mil jusqu'au XVIe siècle.
Plusieurs hypothèses concernent l'origine du "palissage à la loque" consistant à faire pousser des arbres fruitiers en espaliers le long d'un mur. Il est probable que La Quintinie, jardinier du roi Louis XIV, en soit plus ou moins sinon l'instigateur du moins le propagateur. Les jardins du roi se trouvent au lieudit Malassis, entre Bagnolet et Montreuil, et le jeune René Claude Girardot se lie d'amitié avec La Quintinie qui s'y rend quotidiennement.
L'idée consiste à appuyer les arbres fruitiers contre un mur enduit de plâtre de manière à ce que les fruits profitent de la réverbération du soleil le jour et de la propriété du plâtre à conserver la chaleur, la nuit. Lorsque Edmée Girardot, le père de René Claude, ancien mousquetaire et chevalier de Saint-Louis, prend sa retraite, il se retire dans sa maison de Bagnolet. Là, il se consacre à la culture de la vigne et des pêches en utilisant la technique originale révélé à son fils par La Quintinie. L'un de ces murs à pêches perdure toujours au 4ter rue Hoche.
De l'autre côté des Malassis, à Montreuil, le palissage à la loque est utilisé depuis le XVIe siècle. Hauts de deux mètres soixante-dix, épais de quatre-vingts centimètres et surmontés d'un chaperon de tuile ou de plâtre, ces murs s'élèvent orientés nord-sud, afin que l'une des faces soit toujours exposée au soleil, emmagasinant la chaleur. Les pêchers sont greffés sur des "francs", arbres sauvages et résistants, ou sur des abricotiers qui s'étalent le long des murs. Chaque pêcher produisait ainsi jusqu'à cinq cents pêches par saison, davantage que dans le sud de la France. Suite à son succès, cette variété de pêche est désormais connue sous le nom de "pêches de Montreuil", usurpant la notoriété des vergers de La Quintinie. On trouve à Montreuil des jardins à pêches rue du Jardin-Ecole et rue Saint-Antoine.
Les murs à pêches étant menacés par l’urbanisation grandissante de la ville, une association, M.A.P., s’est constituée, en 1994, afin de conserver ce patrimoine témoignant du passé horticole de Montreuil.