Les actuelles zones pavillonnaires de nos communes ont, pour beaucoup d’entre elles, la même origine : le lotissement d’anciennes terres cultivables ou d’un domaine par leur propriétaire. Dans la période de l’entre-deux-guerres, la région parisienne connaît un phénomène sans précédent, celui des lotissements. Les « Sam’suffit » fleurissent un peu partout et donneront naissance au problème des « mal-lotis » qui domine toute la vie sociale et politique de la banlieue parisienne de l’entre-deux-guerres.
Cette forme d’urbanisation débute dans la seconde moitié du XIXe siècle avec l’apparition de lotissements de luxe, sorte de villes nouvelles avant l’heure. Elle correspond à la vogue du pavillon au cours de laquelle la bourgeoisie recherche à proximité des villes une maison à la campagne dotée d’un jardin. C’est de cette époque que date la ville de Levallois-Perret, du nom de ses lotisseurs, Jacques Perret et Eugène Levallois, qui se détache de Neuilly pour devenir une commune autonome en 1866.
S’il ne reste plus vraiment de ces lotissements dans leur intégrité en Seine-Saint-Denis, on trouve aisément leur trace grâce aux maisons bourgeoises qui les constituaient et leur survivent. Construites en grosses pierres meulières, utilisant parfois la tourelle dans leur décor, on peut voir certaines de ces maisons à Bagnolet, rue Jeanne-Hormet ou rue Sadi-Carnot, à Gournay-sur-Marne, rue Ernest-Pêcheux, le quartier du Parc à Aulnay-sous-Bois, loti en 1883, aux Pavillons-sous-Bois, avenue Jean-Jaurès, et la villa du Cèdre construite en 1902, avenue Paul-Vaillant-Couturier à Villepinte, ou encore la maison bourgeoise de la rue Saint-Claude à Rosny-sous-Bois.
C’est durant 1920-1930 que le grand mouvement urbain que constitue la création de lotissements populaires atteint son apogée. Les causes d’un phénomène d’une telle ampleur sont multiples, mais la guerre de 1914-1918 en est le moteur.
La Première guerre mondiale provoque un développement extraordinaire de toutes les industries parisiennes. À la fin des hostilités, les habitants des pays envahis ne rentrent pas tous. De nombreuses familles rurales ayant perdu leurs hommes ne peuvent conserver l’exploitation. Les veuves et les orphelins de guerre, les mutilés, viennent nombreux se fixer à Paris où des emplois « réservés » leur sont offerts dans l’administration. À partir de 1919, l’attrait de la journée de 8 heures précipite encore l’exode rural.
La population de la région parisienne augmente de 350 000 personnes entre 1911 et 1921 et de 950 000 personnes entre 1921 et 1931. La crise du logement ne cesse de s’accroître et, en 1922, le moratoire qui bloquait les loyers prend fin. Des locataires expulsés s’installent dans des locaux étroits, sombres, malsains et toujours trop chers. Les nouveaux arrivants sont les plus touchés. Bien des ruraux fraîchement transplantés en région parisienne se trouvent moins dépaysés en banlieue grâce au jardinet qu’ils cultivent le dimanche. L’installation hors de la capitale dans un pavillon apparaît à beaucoup de mal-logés comme salutaire : plus de loyer à payer, un logement plus vaste et plus sain, les ressources d’un jardin à portée de la main, devenir propriétaire, enfin ! Les propriétaires lotisseurs font le reste.
De 1922 à 1928, une publicité intense interpelle les Parisiens. Des affiches comme, par exemple, celle intitulée "Tous Proprios", vantent les avantages de la vie au grand air, les facilités de paiement et la promesse d’un rapide et complet équipement urbain. Certaines de ces affiches parlent de "lotissements artistiques", des plaisirs de la pêche et de la chasse.
Les pionniers qui s’installent dans des baraques provisoires, construites avec des matériaux de récupération, n’imaginent pas un seul instant qu’ils vont vivre sans rues ni égouts, sans eau courante ni électricité ou gaz domestique pendant plusieurs années, voire jusqu’à dix ans pour certains.
La proximité d’une gare étant indispensable à l’implantation d’un lotissement, c’est le long de la voie ferrée que fleurissent ces cités boueuses, le prix du terrain variant selon l’éloignement de la gare. Devenues des zones pavillonnaires coquettes, on peut aisément suivre le tracé des anciens lotissements de Tremblay-en-France, Villepinte, Sevran, Livry-Gargan, ou Aulnay-sous-Bois le long de l’actuel RER.
L’histoire des lotissements du Vert-Galant, des Cottages et du Bois-Saint-Denis à Tremblay-en-France est typique et exemplaire de celle de la grande majorité des lotissements de la région parisienne durant l’entre-deux-guerres. Si les lotissements s’implantent dans la proximité d’une voie ferrée, l’importance n’est pas tant le passage du train que la présence d’une gare. Or, les terrains proches d’une gare, s’ils ne sont pas déjà bâtis, sont très chers. Aussi, tout en étant liés au voisinage d’une voie ferrée, bien des lotissements se trouvent éloignés de la gare. De nombreux lotis sont, par nécessité, de fervents adeptes de la bicyclette. Sur leur vélo, ils effectuent journellement de longs trajets pour se rendre à la gare. Beaucoup de champions cyclistes de l’entre-deux-guerres sortent de clubs de banlieue.
Tremblay-en-France n’échappe pas à cette réalité. Dans la seconde moitié des années 1920, trois lotissements importants sont ouverts sur la commune. Le 24 juillet 1925, le lotissement du Vert-Galant est approuvé. En 1929, les lotissements du Bois-Saint-Denis et des Cottages le sont à leur tour. À l’emplacement des Cottages se trouve une vaste plaine cultivée tandis que la forêt recouvre le Bois-Saint-Denis et le domaine du Vert-Galant. Il n’existe évidemment aucune viabilité, pas d’eau, pas d’éclairage, pas de commerce, pas d’école, aucun transport. Le coût peu élevé des terrains et les dispositions législatives votées (Lois Ribot en 1908 et Loucheur en 1928) permettent d’obtenir des prêts relativement avantageux. Une population composée pour l’essentiel d’ouvriers et d’employés s’installe sur ces lotissements, quintuplant le nombre des habitants de la commune. En 1921, 842 Tremblaysiens occupent le Vieux bourg ; en 1931, 4835 personnes constituent la nouvelle population tremblaysienne.
L’habitat qui se constitue alors modifie profondément le paysage de la ville. Après avoir vécu un été agréable dans son jardin, le « loti » s’apprête à passer son premier hiver, ignorant ce qui l’attend. Au stade préliminaire des jardins du premier été succède celui des bicoques, constructions chétives édifiées avec les matériaux les plus hétéroclites, achetés au hasard, au coup par coup selon les besoins, parfois prélevés sur des chantiers et réunis peu à peu. À ces bicoques se colle un fouillis de constructions accessoires : poulaillers, clapiers, huttes, tonnelles, etc. Ces appentis rejoignent souvent ceux du voisin, augmentant le danger d’incendie.
Seul le jardinet, pelé l’hiver, met aux beaux jours, une note gaie et colorée avec sa végétation et ses fleurs. Chacun doit pourvoir par ses propres moyens à la résorption de ses ordures, à l’évacuation dans des puisards de ses eaux usées et de ses latrines. L’hiver, la rue en terre, sans caniveau, se défonce, se creuse de profondes ornières, devient un champ de boue. Sur les plateaux imperméables, l’eau reflue par tous les orifices, y compris celui des latrines. Les vieux lotis tremblaysiens se souviennent de cloaques pestilentiels, des mouches et des rats. Lorsqu’un décès survient, il faut porter le cercueil à dos d’homme. L’antique corbillard à cheval ne peut pénétrer dans les lotissements où il n’existe que des sentiers boueux impraticables. Pour aller travailler, le loti part avec aux pieds une paire de bottes en caoutchouc et, dans son sac, des chaussures de ville. Pour ne pas transporter ses bottes toute la journée, on les dépose au café qui a ouvert près de la gare ou dans l’appenti de celui qui est en lisière du lotissement. Les lotis du Bois-Saint-Denis se souviennent du café-restaurant du père Lurette qui faisait office de « garage à chaussures ».
Si l’été est humide, comme il le fut en 1927, les ennuis de l’hiver continuent. Mais le grand mal de l’été, c’est la rareté de l’eau. Il existe en moyenne un puits ou une fontaine pour 2 ou 3 hectares, soit 40 à 60 lots. Les Tremblaysiens de la première heure devaient effectuer parfois plusieurs centaines de mètres avec une brouette chargée de seaux ou de bassines, faire la queue et cela plusieurs fois par jour pour satisfaire aux besoins domestiques, les eaux de pluie récupérées servant à ceux du jardin. Dans la plupart des cas, la construction se fait en deux temps, une maison plus solide remplaçant la bicoque légère. D’abord une sorte d’abri de jardin en planches, de 3 mètres sur 4, avec une porte et une fenêtre, entouré de la multitude d’appentis déjà décrits. Certains utilisent des carreaux de plâtre ou de fibrociment. La toiture est en carton goudronné ou en tôle ondulée. Puis, le bâtiment principal s’agrandit à 2 ou 3 pièces. On voit apparaître la maison de bois avec soubassement de pierre. Certains utilisent de vieux wagons posés sur maçonnerie ; d’autres des baraques Villegrain à double paroi de bois achetées aux stocks militaires.
Toutefois, certains lotis plus aisés font appel à des entrepreneurs. À la fin des années quarante, les prêts, les primes et aides à la construction permettent de construire de belles maisons, plus solides et plus confortables. L’aspect de la commune se modifie. Les jardins potagers et fruitiers sont progressivement remplacés par des pelouses et des jardins d’agrément. Le pavillon le plus répandu est en meulière, étroit, en hauteur. Puis, viendront les pavillons et villas que nous connaissons aujourd’hui.