Malgré son succès tout au long des années trente, la brique cède progressivement le pas au béton nu et les toits se transforment en terrasses. La cité de La Muette à Drancy, construite par Eugène Beaudoin, Marcel Lods et Bodianski, est l’exemple type de cette nouvelle conception de l’immeuble collectif.
La crise dite de 29 qui atteint la France en 1931 n’est pas étrangère à ce type d’immeuble beaucoup plus économique. Le chantier de Drancy ouvert en 1933 inaugure le visage des cités du futur : les immeubles parallèles en bandes de quatre étages forment un U autour d’une cour de 200 mètres de long sur 40 mètres de large, l’ensemble étant appelé « le peigne » par les Drancéens. Ils sont ponctués de cinq tours de quatorze étages. Les nombreux équipements collectifs prévus en rez-de-chaussée, lors de la construction, ne seront jamais réalisés. Bâtiments bas et tours sont construits selon le principe de l’ossature métallique garnie de panneaux de béton moulés en usine. Ce procédé, précurseur dans les années trente, sera majoritairement utilisé pour les constructions des années cinquante et soixante.
Avec ses tours de quatorze étages, les plus hautes en France à cette époque, Drancy est la première ville française à adopter l’idée des gratte-ciel américains et fera office de construction pilote pour les futurs grands ensembles. À l’origine, les habitants ont accès aux toits transformés en terrasses afin d’y étendre leur linge. Mais les Drancéens boudent la cité de béton, jugée défectueuse sur le plan de l’isolation et de l’insonorisation. Les bâtiments sont affectés au logement de la 22e légion de la garde mobile. En 1950, les tours, symboles de l’occupation de la cité par les nazis, sont démolies et La Muette se transforme en une cité militaire jusqu’en 1976.
Dès le 14 juin 1940, les Allemands occupent Drancy. La cité de La Muette est réquisitionnée par les nazis et transformée en camp pour les prisonniers de guerre. Puis, de 1941 à 1944, la cité devient un camp de concentration où sont rassemblés hommes, femmes, enfants et vieillards, majoritairement des juifs et des communistes, avant leur déportation vers les camps de la mort. Dans la partie des bâtiments qui forment un « fer à cheval » appelée « cour d’entrée », ce qui va devenir « le camp de Drancy » s’organise. Cerné par des barbelés, l’ensemble, où passeront plus de cent mille personnes, est surveillé par quatre miradors. Initié par les Allemands, le camp est sous commandement français dirigé par une équipe de la police judiciaire et un détachement de la gendarmerie. Ce n’est qu’à partir du 2 juillet 1943 que le Haufsturmführer prend la direction du camp.
Drancy n’est qu’un lieu de passage, ultime étape avant les camps d’Auschwitz et de Birkenau, avant la mort. En 1942, on compte trois départs par semaine, les prisonniers étant entassés dans des wagons à bestiaux plombés. Les conditions de vie au camp de Drancy sont extrêmement dures et certains n’auront pas le temps de faire le voyage, comme le poète Max Jacob, mort à Drancy le 5 mars 1944 et beaucoup d’autres.
En 1976, un monument commémoratif, sculpté par un ancien déporté, Shelomo Selinger est élevé dans la cour d’entrée de la cité de La Muette. Derrière le monument, un wagon témoin a été mis en place en 1988. C’est l’un de ceux qui ont transporté des milliers de juifs vers les camps d’extermination. Le monument aux déportés et le wagon constituent le mémorial du camp de Drancy, administré par un comité national. Sur le monument, cette phrase est gravée : « Passant, recueille-toi et n’oublie pas. ».
Le mémorial de la Shoah à Drancy est ouvert en face de la Cité de la Muette. Une exposition permanente, un rappel par des témoignages, des lettres... qui retracent cette époque.
Un livre a été publié suite à l'exposition Les graffitti du camp de Drancy.