En participant à l’expérience des Villes Nouvelles, notamment celle de Marne-la-Vallée, Noisy-le-Grand attire de grands architectes contemporains comme les Espagnols Ricardo Bofill et Manolo Nunez-Yanowsky. Le premier se fait remarquer par l’édification de son fameux Palacio d’Abraxas mais aussi de l’Arc et du Théâtre ; le second avec la construction des Arènes de Picasso.
Toutes les villes ont, par essence, été "nouvelles" lors de leur création, "villes neuves" disait-on au Moyen-âge. Plusieurs communes ont, depuis, conservé tout ou partie de cette dénomination. Le Moyen-âge a été, à cet égard, très prolixe, mais les villes avaient pour origine l’implantation d’un autel qui, en prenant de l’importance par un afflux de population, se transformait en paroisse. Elles étaient le fruit d’une aventure humaine et appartenaient à l’histoire urbaine. L’originalité de nos Villes Nouvelles, nées au XXe siècle, est qu’elles sont le résultat d’un projet global planifié.
Au début des années 1960, les grandes agglomérations françaises (Paris et sa banlieue, Marseille, Lille, Rouen, etc.) subissent une poussée démographique intense qui provoque une urbanisation en tâche d’huile. À l’issue du recensement de 1962, les démographes prévoient un accroissement de la population de l’ordre de 50% à l’horizon 2000. Pour la seule région parisienne, les projections sur l’avenir laissent augurer une quinzaine de millions d’habitants à la fin du XXe siècle. De plus, les principales métropoles traversent une grave crise du logement (on construit à l’époque, quatre fois moins qu’il ne faudrait) mais aussi, et peut-être surtout, souffrent de l’absence d’un véritable projet d’aménagement. L’idée de "villes nouvelles" naît donc de la prise de conscience de ces problèmes.
Marne-la-Vallée (comme les quatre autres édifiées en Ile-de-France : Cergy-Pontoise, Evry, Melun-Sénart, devenue depuis Sénart, et Saint-Quentin-en-Yvelines) s’inscrit dans le cadre du Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne (le SDAURP) qui insiste sur le besoin de créer des "villes nouvelles" dotées de tout le nécessaire de la vie quotidienne des habitants (emplois, logements, équipements) afin de leur éviter des pertes de temps considérables en transports et déplacements. Il s’agit d’établir un triple équilibre entre l’emploi et le logement, l’habitat et l’équipement, le bâti et la nature. La Ville Nouvelle de Marne-la-Vallée voit le jour le 17 août 1972 avec la création de l’Établissement Public d’Aménagement (EPAMARNE), structure technique émanant de l’État et chargée de construire la ville nouvelle.
Lors de leur création, les Villes Nouvelles sont mal acceptées par les communes concernées et provoquent des levées de boucliers un peu partout. En effet, les élus locaux exigent de conserver la maîtrise de l’urbanisation de leurs communes et refusent le projet de ville unique induit par le processus. Divers aménagements de la loi permettent que l’aventure des Villes Nouvelles se poursuive. Marne-la-Vallée comprend 26 communes qui s’étendent sur trois départements, dont la Seine-Saint-Denis avec Noisy-le-Grand (la seule ville de ce département), et couvre 15 000 hectares. Du point de vue de l’architecture de Noisy-le-Grand, c’est Henri Ciriani qui ouvre le feu avec la Noiseraie, à la Butte Verte, cité construite de 1975 à 1980. Il est rejoint pas les Espagnols Ricardo Bofill et Manolo Nunez-Yanowsky.
Ricardo Bofill naît à Barcelone en 1939. Il n’a que 24 ans lorsqu’il fonde une agence interdisciplinaire, "Le Taller de Arquitectura", composée d’architectes et d’ingénieurs mais aussi de sociologues, d’historiens et de philosophes. Leur réflexion commune les mène à des tentatives de réponses aux problématiques actuelles de l’urbanisme posées par les nouvelles structures. Inspirés tout autant par Antoni Gaudi (1852-1929) que par l’architecture africaine, les membres du Taller de Arquitectura conçoivent plusieurs ensembles de logements sociaux en Espagne, donnant à Bofill une renommée internationale. L’architecte français François Mansart (1598-1666), qui a déjà eu une influence non négligeable sur la construction de nombre de châteaux et manoirs en Seine-Saint-Denis, exerce également une réelle influence sur l’architecte espagnol qui tente de remettre à la mode le style néo-classique.
Son intention n’est pas de recopier les beautés de l’Antiquité mais de les transposer en les intégrant dans des particularismes locaux et en utilisant les technologies actuelles. "Différents styles et divers traitements se mélangent au cours d’un même moment historique, et c’est cette complexité même qui fait l’intérêt de la ville", écrit-il. Ricardo Bofill réalise en région parisienne une dizaine de constructions, essentiellement dans les Villes Nouvelles. À Noisy-le-Grand, il conçoit, à partir de son vocabulaire néo-classique habituel, les Espaces d’Abraxas, dans le quartier du Mont Est, avec un ensemble de trois bâtiments : le Théâtre, l’Arc et le Palacio. Il imprègne la ville de son empreinte dans un style spectaculaire marqué par la théâtralité et la démesure. Ces réalisations sont pour lui une réponse à l’architecture de masse, celle des logements sociaux, créée par des architectes dépourvus de style. Il formule sa réponse selon ces trois points : la "mixité des fonctions", la "référence à l’échelle humaine" (sic) ainsi que la "qualité et l’esthétique des espaces publics".
Le Palacio, bâtiment massif de 18 étages, est composé de quatre cages d’escaliers accueillant chacune environ 250 appartements. Le Théâtre, d’allure plus modeste, entoure une place évoquant un théâtre à l’antique. Agencée selon une forme demie cylindrique, la dizaine de cages d’escaliers dessert chacune une dizaine d’appartements. Les deux ensembles sont situés de part et d’autre de deux cages d’escaliers qui se rejoignent au septième étage, formant une arche. C’est l’Arc.
Le manifeste post-moderne que Bofill réalise à Noisy-le-Grand est probablement le plus maniéré et le plus expressif, mais aussi le plus dense et le plus massif. Certains parlent d’une indécision entre la tradition et le progrès et, à vrai dire, son architecture y est très controversée. Si le béton préfabriqué aux teintes roses proches du grès qu’il a utilisé est du meilleur effet sous le soleil, il devient très dur par mauvais temps, donnant à l’ensemble un aspect austère qui lui a valu le surnom d'"Alcatraz".
En 2006, le projet de la commune de Noisy-le-Grand de démolir les 600 appartements du Palacio, afin d’entrer dans le cadre d’un Grand Projet Urbain conventionné par l’ANRU, suscite un grand émoi parmi la population de l’Espace d’Abraxas. Comme pour la majorité des grands ensembles, ses occupants, même s’ils en dénigrent certains aspects, se sont approprié ces lieux. Chacun les a teintés de sa touche personnelle et y a accroché un morceau de sa vie. Le Collectif anti-démolition des quartiers populaires d’Ile-de-France a informé Ricardo Bofill du projet d’une éventuelle destruction. L’architecte s’en est également ému et s’est engagé à être "très attentif à l’évolution de ce dossier". Il est certain que cet ensemble exige une réhabilitation. En 2017, la réhabilitation des espaces Abraxas par l'architecte lui-même a été annoncée.
Né en 1942 à Samarcande en Ouzbékistan (ex-URSS), Manuel Nunez-Yanowsky arrive en Espagne en 1957. Il est diplômé d’histoire et d’archéologie de l’Université de Barcelone et DPLG en France. Aux côtés de Bofill, il fait partie des fondateurs du "Taller de Arquitectura" et, en 1991, crée avec Miriam Teitelbaum SADE, une agence d’architecture et d’urbanisme basée à Paris et à Barcelone.
À l’origine de nombreux programmes d’urbanisme dans le monde entier, il choisit, en France de "combattre la ghettoïsation des banlieues parisiennes en favorisant l’harmonisation du tissu urbain afin d’améliorer les conditions sociales de ses habitants". Comme Bofill, il intervient beaucoup dans les Villes Nouvelles. Tous deux ont la même admiration pour Gaudi et le postmodernisme. Selon le Dictionnaire des Architectes, Manolo Nunez-Yanowsky cultive le baroque et l’insolite, manie la provocation, mais redonne une part prépondérante à la sculpture dans la décoration des façades. Il y est donné comme l’un des créateurs les plus originaux de l’architecture contemporaine.
À Noisy-le-Grand, Nunez se voit confier l’architecture des habitations du quartier du Pavé Neuf. Il y conçoit un ensemble, les Arènes de Picasso, figurant une représentation abstraite d’un chariot renversé. Les bâtiments y sont agencés autour d’une place aux extrémités de laquelle se dressent deux cylindres dont l’axe est parallèle à l’équateur.
Depuis sa construction, la tradition populaire a baptisé ces deux cylindres les "camemberts" ou les "tambours". Nous sommes très loin de l’image poétique des roues d’un chariot…
Les constructions noiséennes de Ricardo Bofill comme celles de Manolo Nunez-Yanowsky ont souvent servi de décor pour le cinéma ou pour des clips. Certaines scènes de Brazil de Terry Gillian ou de A mort l’arbitre avec Michel Serrault ont été tournées dans les Espaces d’Abraxas pour le premier, au Palacio pour le second. Billy Ze Kik, dont Francis Perrin tient le rôle-titre a été filmé dans les Arènes de Picasso ainsi que le clip de Cheb Mami & K-Mel, Parisien du Nord, et le début de celui de Stéphanie de Monaco, Ouragan.
En 2015, les espaces d'Abraxas ont accueilli le tournage de plusieurs scènes du film Hunger Games.
Les deux ensembles se trouvent dans le quartier du Mont d'Est à Noisy-Le-Grand desservi par le RER A Gare de Noisy-le-Grand Mont d'Est. Les Arènes de Picasso se trouvent sur la Place Pablo Picasso et les Espaces Abraxas sur la place des fédérés.
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