L’urbanisation intense de la Seine-Saint-Denis pourrait laisser croire, à première vue, à l’inexistence de pratiques agricoles ou à la possible présence de quelques pratiques marginales. En réalité, le recensement de toutes les formes d’agriculture du département montre une présence agricole forte comportant des enjeux sociaux, économiques et environnementaux importants pour son territoire.
Visites de fermes urbaines à Paris
Selon les définitions proposées par la Food and Agriculture Organisation (FAO) dans son rapport "Agriculture urbaine et périurbaine", présenté en 1999 à Rome, "l’agriculture urbaine et périurbaine se réfère aux pratiques agricoles dans les villes et autour des villes qui utilisent des ressources – terre, eau, énergie, main d’½uvre – pouvant également servir à d’autres usages pour satisfaire les besoins de la population urbaine." La première, l’agriculture urbaine, correspond aux petites surfaces (terrains vagues, jardins, vergers, balcons, récipients divers) utilisées en ville pour la culture de plantes, l’élevage de petits animaux, voire de vaches laitières en vue de la consommation du ménage ou des ventes de proximité. La seconde, l’agriculture périurbaine, se rapporte aux unités agricoles proches de la ville gérant des exploitations intensives commerciales ou semi-commerciales en pratiquant l’horticulture (légumes et autres cultures), l’élevage de volailles et d’autres animaux destinés à la production de lait et d’½ufs.
René Kersanté a pris sa retraite. La ferme de Gally et Zone Sensible ont repris sa ferme en 2018
L’agriculture de la Seine-Saint-Denis est typiquement urbaine et périurbaine avec, évidemment, des surfaces agricoles très émiettées et insérées au c½ur du tissu urbain, mais aussi des zones agricoles plus homogènes qui persistent au nord-est du département, dans la Plaine de France, à Tremblay, et sur les coteaux de l’Aulnoye à Vaujours et Coubron, où se situent de grandes cultures et des élevages. La réputation des légumes des maraîchers de la Plaine des Vertus, Aubervilliers et la Courneuve, n’est plus à faire. En témoignent toutes les variétés portant mention de ce territoire telles que le chou gros des Vertus, le poireau gros long des Vertus, la betterave rouge noire des Vertus, le navet demi long des Vertus ou encore le pointu des Vertus ! Dans les années 1950, trois cent onze hectares de terrain sur cinq cent quarante-neuf sont encore agricoles et en 1936, quatorze cultivateurs se trouvent toujours en activité. C’est en 1970 que le dernier maraîcher disparaît d’Aubervilliers. Par sa situation géographique, le département était autrefois qualifié de "grenier" de Paris car il alimentait la capitale et ses environs en produits frais.
Certes, les recensements agricoles effectués sur le département par la Chambre d’agriculture régionale et interdépartementale d’Ile-de-France en 1988, 2000 et 2011 montrent un déclin général des exploitations agricoles. L’urbanisation repousse les exploitations agricoles hors et loin des villes (occasionnant pour celles-ci des problèmes d’approvisionnement, de transport, d’accès à une alimentation saine, de non interaction entre les urbains et l’agriculture). Aussi, la préoccupation actuelle, en France en général et en Seine-Saint-Denis en particulier, est de maintenir l’agriculture en zone urbaine et périurbaine et de l’intégrer au programme d’urbanisme des territoires.
Pourtant, agriculteurs et citadins trouvent des avantages à maintenir l’agriculture en ville : l’agriculture de proximité permet la mise en place de cycles courts et la vente directe, la diminution de pollution (émissions de CO2 réduites), l’accès à des produits du terroir, l’autoproduction pour une partie des besoins, le recyclage des déchets organiques, la protection d’un cadre environnemental et, non des moindres, la préservation des liens entre milieu rural et milieu urbain, voire du lien social en ville. Aussi, afin d’adapter l’agriculture aux avantages et inconvénients du milieu urbain et périurbain et aux besoins des citadins, des recherches se concentrent sur de nouvelles formes d’agriculture urbaine et périurbaine, comme les jardins privés, familiaux ou partagés et, d’une manière générale, toutes les chaînes de "consom’acteurs". Quant aux collectivités, elles se penchent de plus en plus sur des politiques de maintien de l’activité agricole en ville, particulièrement sur l’accès au foncier pour les agriculteurs.
Différentes formes d’agriculture sont présentes sur le territoire de la Seine-Saint-Denis que l’on peut regrouper dans deux grandes catégories dont certaines se retrouvent dans l’une et l’autre (tel le maraîchage) : d’une part, les exploitations à finalité économique comme les grandes cultures et les élevages, l’horticulture, le maraîchage, la viticulture et l’apiculture ; d’autre part, les exploitations à finalité sociale comme le maraîchage, les jardins partagés et les jardins familiaux.
La Seine-Saint-Denis se caractérise donc par une grande diversité des pratiques agricoles, éparpillées sur le territoire, et par l’importance du rôle social et environnemental allant au-delà des enjeux alimentaires et économiques. Les plus grands espaces agricoles se situent à l’extrémité est du département et en particulier au nord-est avec une vocation économique majeure. Les espaces morcelés subsistent dans le nord-ouest et dans le sud de la Seine-Saint-Denis, liés quant à eux à des enjeux sociaux et environnementaux. Enfin, le centre du département, très urbanisé, abrite très peu d’espaces agricoles, la plupart étant des jardins familiaux.
Ces pratiques sont les derniers témoins vivants du riche passé agricole du département, un des piliers de son identité. Des vestiges de ce passé sont conservés dans les pratiques mêmes (les murs à pêches de Montreuil), mais aussi dans le paysage (vignes, vergers ou anciens chemins ruraux transformés en chemins de randonnées), à travers les noms de certaines rues des communes séquano-dionysiennes, les exploitations forestières (foret de Bondy, massif de l’Aulnoy), dans le patrimoine bâti (la ferme de Noisy-le-Grand datant du XVe siècle, les maisons rurales du vieux Tremblay, de Coubron ou d’Epinay-sur-Seine, la grange dîmière de Tremblay, les maisons de pailleux de Vaujours) ou le patrimoine mobilier (outils et engins agricoles conservés à l’écomusée de la Courneuve) ainsi que dans les archives qu’elles soient municipales ou départementales (à Bobigny). Ces vestiges permettent de comprendre l’évolution du paysage agricole jusqu’à nos jours.
Né à Vaujours dans les années 1850-1860, le commerce de la paille était pratiqué par les "pailleux". Le travail des pailleux consistait à récolter la paille et à en négocier la vente pour le fourrage et la litière des animaux. Ce commerce était lucratif et une expression valjocienne d'alors disait "riche comme un pailleux".
La maison d’un pailleux se caractérise par un plan à cour fermée. Le bâtiment de façade se divise en deux parties avec, d’un côté, une habitation à deux niveaux et des combles pour loger les charretiers et les valets et, de l’autre, une vaste grange ouvrant sur la rue par une immense porte occupant toute la hauteur du bâtiment. La dimension de ces portes correspond à la taille des charrettes, tirées par des percherons, qui lorsqu’elles sont chargées peuvent atteindre quatre mètres de haut et peser jusqu’à cinq tonnes. C’est pour permettre à ces attelages impressionnant de pouvoir man½uvrer que certaines rues du vieux Vaujours sont très larges.
À Vaujours où il est encore possible de voir certains de ces bâtiments, le dernier pailleux a cessé son activité en 1983.