Sigismond Cassidanius, fondateur et guide des Arts fleurissent la ville, encadre des balades urbaines sur le street art dans le Grand Paris. Découvrez le portrait de ce porte-parole et conteur du street art.
Bonjour Sigismond, pouvez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a poussé à devenir guide ?
Bonjour à toute l'équipe d'Explore Paris, dont je salue le travail. Bonjour aux visiteurs aussi !
Ce qui m’a poussé à devenir guide, c'est sans doute l'esprit de liberté, qui règne aussi dans la rue.
Je suis un gamin de Belleville, bercé par la découverte des ateliers de Ménilmontant dans les années 90. C’est là que j’ai rencontré Nemo et Jérôme Mesnager ndlr – deux street-artistes mondialement connus. À cette époque, ils n’avaient que 5-6 ans de carrière sur les 41 ans qu'ils alignent aujourd'hui. Au-delà des ateliers, ce qui m'intéressait, c’était de voir les peintures dans la rue... C'était vraiment une découverte incroyable.
Après ça j'ai été, pendant 20 ans environ, animateur puis directeur de centres de loisirs dans des quartiers difficiles, des quartiers où l'ouverture culturelle n'était pas du tout assurée. J'ai essayé de travailler avec cette volonté d'ouverture à la culture. Au bout d’un moment, j’ai ressenti les limites, couplées à trop de pression et un manque de liberté. J’ai donc voulu prendre un tournant. Je suis guide professionnel en anglais et en français depuis 2018.
Cet attrait pour le street-art, d’où vous vient-il ?
Le premier mur que j'ai vu, c'est le mur de Berlin en 1987, juste deux ans avant sa chute. Ce fut un choc esthétique incroyable. De voir tous ces Mickey caricaturés grimaçants qui tenaient une poignée de dollars. De voir "le mur doit tomber", tous ces graffitis. C'était incroyable, je n'avais jamais vu ça. C'est le premier coup de c½ur vraiment qui m'est toujours resté. Et à chaque fois que j'y repense, je me dis non mais quand même, le mur de Berlin, c'était quand même un sacré mur. Je n’y suis jamais retourné depuis !
Durant ce voyage, j’ai également connu le quartier punk de Kreuzberg. J’ai longtemps fréquenté les squats punks du 20e, du 18e arrondissement. Ça va avec la culture alternative et underground. Il y a toujours eu du street art dans les squats. C’est un milieu qui est rempli de codes de respect incroyables. S'il y a bien des gens respectueux, c'est les graffeurs. C'est incroyable. Autant de respect comme ça, c'est fou. Par exemple, si tu repasses quelqu'un, il faut mettre son nom en bas. Ce sous-détail n'est pas un détail. C’est une clause de style. Tout est écrit devant toi ; il n'y a qu'à lire. Tu peux résumer l'histoire en quelque sorte.
Dans le nord-est parisien, du côté de Belleville, on a toujours eu cette tradition également, entre la Seine-Saint-Denis et Paris. C'est ce qui m’a permis aujourd’hui de ne pas faire de différence entre, d'une part le street-art et d'autre part, le graffiti. Je les traite à égale valeur les deux. Il y a le graffiti, avec le lettrage, qui a toujours fait partie de ma culture.
Je suis de la génération qui a découvert le breakdance, le rap, le djing. C’était dans l’émission "La Une est à vous" que j’ai découvert ça, un samedi après-midi à la télévision en 1982. C’était "le rap city tour" le nom du concert, je m’en rappelle.
On allait breaker à cette époque-là à la maison des jeunes. C’était un local où on pouvait s’entraîner. On appelait ça du "smurf". C’était vraiment le début de la culture hip-hop !
Le graffiti c’est chouette, j'introduis les gens à lire ce qu'il y a écrit, je ne leur dis pas. Je les aide pour que ce soit eux qui se l’approprient. Parfois, il y a du graffiti difficile ; mais ils finissent par se l’approprier et y arriver. Ça fait une révélation au début de visite, j'adore. Je suis content d’être le porte-parole de ce mouvement.
“N'allez pas là où le chemin peut mener, allez là où il n'y a pas de chemin et laissez une trace !” : cette phrase est arborée sur vos plateformes. Diriez-vous qu’elle vous caractérise ?
Encore une fois, je viens d'une culture du nord-est parisien où on a toujours privilégié l'underground. Toujours, toujours. En dépit du mainstream, comme on dirait aujourd'hui. Où la pensée est unique.
J'ai toujours préféré l'underground. Je dois beaucoup au lycée de Pantin, par les profs que j'ai eus qui m'ont fait lire Boris Vian ; des profs d'espagnol qui m'ont fait lire Federico Garcia Lorca. Je ne peux pas oublier ma culture profondément ancrée à gauche, ma culture humaniste. C'est la liberté de penser autrement.
Face à ça aussi, la révolution romantique, c'est de marquer son individualité. C'est vraiment ça. L'écriture, la littérature moderne ; c'est d'inscrire l'individu.
Autant prendre les chemins de traverses, plutôt que prendre le chemin tout tracé, et laisser une trace. C’est un peu de l’orgueil, mais c'est le comble de ce que tout humain peut rêver, peut-être. C'est un accomplissement de l'individu, de laisser une trace dans le temps, dans l'histoire. C'est intemporel quand tu marques une trace dans le temps, et c’est ça qui est beau.
Cette phrase est de Ralph Waldo Emerson. C'est un philosophe très important aux États-Unis, qui fonde la mentalité américaine sur la relation avec la nature. Il est suivi par Henry David Thoreau, dont on connaît le concept de résistance civile, par exemple. Il est contemporain de Louise Michel. Ils ont ça en commun, tous les deux, d'être instituteurs pour l'État et tous les deux de démissionner pour créer leur propre école avec leurs propres règles. Louise Michel fonde son école à Montmartre. Et Henry David Thoreau part de l'éducation nationale aux États-Unis pour fonder sa propre école. Ce sont des esprits libres.
C'est vraiment ce que j'ai envie de faire. De ne pas suivre les sentiers battus et dans mes visites, de trouver des choses un peu étonnantes, des visites d'ateliers d'artistes, des rencontres avec des artistes, des jams. Qu'on ne soit pas dans le tout convenu de la visite.
Une fois que la visite est finie elle n’est jamais vraiment finie. On a laissé une trace.
Il y a une expression qui me caractérise. C'est faire circuler du langage. C'est ce que je m'applique à faire depuis mes études en sociologie à Paris VIII. J'ai appris à respecter la pensée des gens, à la sentir, à l'analyser. C'est pour cette raison que j'aime beaucoup les mots. Je me permets beaucoup de mots d'esprit pendant mes visites ou d'ironie quand j'utilise un mot un peu précieux. Tant mieux, ça fait rire le public. On est comme des conteurs.
Parlez-nous de votre collaboration avec ExploreParis.com. Qu'est-ce que la plateforme vous a apporté ?
Beaucoup de singularités, beaucoup de façons de pouvoir m'exprimer. Pour revenir à la question précédente, j'ai pu développer de façon très libre des visites qui ont été vraiment bien appréciées.
J'ai pu développer une fidélité avec un public que je n'avais jamais eue, ce qui est très beau. Ça m'a aiguillonné à me dépasser, à proposer des choses que je n'avais jamais faites.
J’ai aussi découvert un public anglophone qui était un public de passage.
Il y a parmi mes invités certains qui sont devenus des amis.
Ça m'a également fait découvrir des territoires. C'est incroyable.
À ce jour, je crois être un des rares guides à présenter entre 12 et 15 visites différentes. C'est un catalogue énorme. Plus on en fait, plus on en fait. C'est un cercle vertueux. Plus tu connais, plus tu es amené à connaître, et c'est ça que je trouve beau.
Je pense que la culture, c'est vraiment notre meilleure façon d'être libre. Elle est faite pour nous changer, pour nous maintenir dans l'époque où on est. C'est une fenêtre de liberté.
Les visiteurs ont les yeux écarquillés. Ils ne se rendent pas compte qu'à travers la peinture de rue, il y a autant de culture qui est codée, cachée, recelée, comme tu veux. Plein de choses. Tu peux faire parler les murs, c'est incroyable.
Explore Paris, ça m'a apporté des relations humaines, des connaissances nouvelles, des terrains nouveaux.
Avez-vous une visite préférée ? Une anecdote à partager ?
Fresque de Diane, Ecole Paul Langevin - Les arts fleurissent la ville aux Lilas
Chaque visite est différente. On forme à chaque fois une équipe. Constituer cette équipe au début de la visite est la chose la plus importante. De faire participer ce public et de ne pas être en monstration.
On est ensemble, on est tous ensemble. On gagne ensemble ou on ne gagne pas. Pour moi, les visites sont toujours différentes parce que c'est à chaque fois une nouvelle équipe.
J'ai quand même sans doute des anecdotes à partager. Je me souviens de la fois où cette maîtresse d'école a rencontré une ancienne élève à elle lors d’une de mes visites. Elles habitaient loin l’un de l’autre et se sont retrouvées des années après.
C’est rigolo pour moi, je suis vraiment un passeur.
Quelles bonnes adresses nous recommandez-vous ?
La première adresse, c'est le square Papapoule à Montreuil. De mémoire, au 84 rue Carnot. Papapoule représente les familles recomposées. Avant c’était un pavillon où un père habitait avec tous ses enfants de différentes mères. Le pavillon a été démoli et il ne reste plus que le square. C'est toute une culture des années 80. C’est ma génération. Ce lieu est devenu un spot de graffiti incroyable. Il y a des fresques avec des très belles signatures.
Et mon deuxième lieu préféré c’est en remontant du parc jusqu’à Croix de Chavaux à Montreuil ; Les Nouveaux Sauvages. C’est un café très sympa pour déguster une limonade mais surtout, un lieu où une vingtaine d’artistes sont intervenus. J’aime bien finir ma balade de Montreuil par ce café. Ça permet de prolonger un peu la balade.