La misère qui frappe les provinces françaises lors de la crise économique des années 1850, pousse les ruraux à partir de chez eux et Paris hérite en quinze ans, de 1851 à 1866, de 300 000 personnes qui viennent chercher une stabilité que le village ne leur assure plus. Ces migrations peuvent être – du moins dans un premier temps – saisonnières, comme ce fut le cas pour les savoyards ou plus pérennes, comme le seront rapidement les migrations de Bretons.
Au XIXe siècle, les campagnes bretonnes, comme partout ailleurs, connaissent des avancées importantes dans la technologie et la condition de vie des paysans s’améliorent. Mais l'effondrement de l'industrie textile jusque-là forte, avec le tissage du lin et du chanvre, entraîne la fermeture d’usine et l'émigration de milliers de Bretons qui fuient la misère.
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Le départ de la Bretagne devient une nécessité car, sous la pression démographique, la terre natale ne fournit plus de possibilité de travail. Si la grande majorité se tourne vers Paris, d’autres émigrent vers Lille, Tours, Orléans, Lyon mais aussi dans les ports de Dunkerque, Boulogne, Le Havre, Bordeaux et bien sûr Marseille.
L’immigration vers Paris des Bretons, de beaucoup la plus importante (plus forte que celle des Auvergnats) est aussi l’une des plus anciennes. On trouve des signes de la présence de Bretons à Paris dès le Moyen Age. Mais c’est l’ouverture de la ligne du chemin de fer Paris-Nantes-Quimper inaugurée en 1863, puis l’achèvement de la ligne qui relie Brest à Paris, en 1865, qui sont déterminants pour l’arrivée à Paris de milliers de Bretons venus tenter leur chance à la capitale. Une très grande majorité d’entre eux sont originaires des Côtes du Nord (actuelles Côtes d'Armor).
Arrivant par la Gare Montparnasse, beaucoup d’entre eux ne s’aventurent guère plus loin et s’y installent. Les Bretons recréent dans le 14e arrondissement de Paris une véritable petite Bretagne. Peu formés et ne parlant bien souvent que le breton (l’usage du français à l’école n’est imposé en Bretagne qu’en 1930), les nouveaux arrivants forment une main d’œuvre idéale pour les travaux les plus pénibles. Nombreux sont ceux qui participent aux percements des tunnels du métro parisien, dont le concepteur n’est autre que Fulgence Bienvenüe, lui-même Breton, et qui a donné son nom à la station de métro du quartier : Montparnasse Bienvenüe.
On les retrouve autour de l’usine à gaz près de Grenelle mais aussi près du dépôt de la Chapelle, dans le 18e arrondissement et, rapidement, dans la banlieue de Paris nouvellement industrialisée. Mais l’intégration d’un rural, qui parfois ne parle pas le français, n’est pas simple car il se heurte à un mode de vie et une discipline sociale qu’il ignore. Transplantés dans l’univers de l’usine, ces anciens paysans sont, le plus souvent, mal payés, mal logés, mal nourris et vivent dans des conditions souvent insalubres et très pénibles.
Le sort des femmes, plus nombreuses à partir, n’est guère plus enviable que celui des hommes. Elles se placent au mieux comme nourrices ou concierges mais, le plus souvent, comme bonnes à tout faire, acceptant des conditions de travail difficiles et des gages peu élevés. Leur histoire, parfois misérable, devient rapidement une image d'Épinal avec la création, en 1905, du personnage de Bécassine dans le premier numéro de La semaine de Suzette. Bécassine naît de l'imagination de Jacqueline Rivière (la rédactrice en chef du magazine) après que sa propre bonne bretonne ait commis une étourderie. Elle est dessinée par Joseph-Porphyre Pinchon, un pionnier de la bande dessinée et précurseur de la ligne claire (langage graphique issu de l’école belge de la bande dessinée et réunie autour d’Hergé). Même si le personnage de Bécassine est affublé de nombreux clichés, son image traduit néanmoins une réalité de l'époque.
D’autres migrantes, moins « chanceuses », se retrouvent sur les trottoirs de la capitale. Le phénomène devient tellement important que des comités d’accueil sont créés pour empêcher les proxénètes de recruter dès la descente des trains en gare de Montparnasse tandis que le Service Social Breton met en place une structure pour aider à l’accueil de ces jeunes filles un peu naïves. C’est Geneviève de Blignières, une Bretonne montée à Paris en 1926 pour se consacrer à des œuvres sociales, qui s'aperçoit que 30 à 40 % des détenues de la prison Saint-Lazare (prison réservée aux prostituées) sont bretonnes. À la suite de ce constat, elle crée en 1933 une maison d'accueil dans la gare Montparnasse afin d'aider et d'orienter ces jeunes filles vers un véritable emploi et leur éviter les risques de la prostitution. Cette structure, devenue en 1960 le Centre Social Breton, existe toujours mais sa mission a bien évidemment changé depuis la fin des années 1960. Il est aujourd'hui un foyer de jeunes travailleurs spécialement dédié aux jeunes filles d'origine bretonne.
En 1883, le nombre des Bretons dans la capitale atteint déjà 12.000. Ils commencent à déborder extra muros et essaiment un peu partout dans la banlieue parisienne. À Saint-Denis, où les quartiers de la Plaine et Pleyel commencent à s’industrialiser, les Bretons arrivent dans les années 1890. En 1891, 2217 Bretons des Côtes-du-Nord sont recensés à Saint-Denis. À partir de 1896, la Plaine Saint-Denis accueille de nombreux Bretons des Côtes-du-Nord qui s’installent rue Charles-Michels, à Pleyel et rue du Landy. Au début du XXe siècle, arrivent ceux de l’Ouest breton. Ils seront accompagnés des migrants du Nord de la France, puis suivront des Espagnols, des Italiens, des Belges, puis des Polonais et des Algériens, enfin des Africains d’origine subsaharienne et aujourd’hui les Asiatiques. Tous s’installent successivement dans les mêmes quartiers du Franc-Moisin, du Cornillon, entre les rues du Landy et Francis-de-Préssensé ainsi qu’à Pleyel.
Les flux migratoires se sont équilibrés et la position sociale des bretons a considérablement évolué. Si ce sont des terrassiers bretons qui ont construit la ligne de Paris à Saint-Germain-en-Laye, un grand nombre travaillent aujourd’hui encore à la S.N.C.F. La R.A.T.P. en emploie également une proportion assez forte. On trouve également des Bretons au sein des grandes administrations, dans l’assistance hospitalière, les douanes, les Postes et Télécommunications ou la Police.
Aujourd’hui, la répartition des Bretons de l’Ile-de-France se concentre sur deux départements : les Yvelines et les Hauts-de-Seine tandis que la Seine-Saint-Denis a vu sa population d’origine bretonne se concentrer majoritairement sur la ville de Saint-Denis. Chaque année, l’Amicale des Bretons de Saint-Denis organise un fest-noz, une sortie culturelle et touristique, participe aux fêtes locales et à d’autres initiatives d’associations dionysiennes. Elle collabore aux initiatives de l'Union des Sociétés Bretonnes de l'Ile de France (USBIF) telle que la rencontre de printemps en région parisienne, la rencontre d'été en Bretagne, le congrès annuel à l'automne, etc. Jusqu’en 1992, les Bretons de Saint-Denis élisaient leur Reine et ses deux demoiselles d'honneur et, jusqu’en 1994, un grand pardon laïc se tenait dans la ville à la Pentecôte.
Une nouvelle voie du quartier Montjoie a été nommée la « Rue des Bretons » le 30 mai 1991. Située entre l'avenue du Président Wilson et l'avenue du Stade de France, elle rend hommage aux nombreux Bretons venus se fixer à Saint-Denis au début du XXe siècle et qui travaillèrent à l'usine à gaz du Landy.
À leur arrivée, les Bretons, comme les autres migrants de l’intérieur, se heurtent à un "racisme anti-provinciaux" semblable à celui des migrants de l’extérieur d’aujourd’hui. La bourgeoisie parisienne développe un profond mépris pour ces nouveaux venus. L’une des grandes hypothèses qui courait alors était que les Parisiens étaient les descendants des Francs victorieux, tandis que les provinciaux étaient issus des Gaulois vaincus !
Les Bretons de Saint-Denis : Devant le local de l'Amicale en 1958 - Collection Amicale des Bretons de Saint-Denis
C’est à propos des migrants provinciaux, tels que les Bretons et les Auvergnats, que le Journal des débats de cette époque parle "d'invasion des barbares", le baron Haussmann les considère comme une "tourbe de nomades" et Adolphe Thiers une "multitude de vagabonds".
Le passage de Paris à la banlieue n’est pas forcément plus facile. Ils sont mal vu par les locaux, qui les accusent "de voler leur travail et de ne pas vouloir s’intégrer, puisque les Bretons restaient entre eux, beaucoup ne parlaient d’ailleurs que breton", explique Gérard Réquigny, le Président de l’Amicale.
Très influencés par l'Eglise catholique, ils écoutent les prêches en breton de curés qui les incitent à soutenir la droite. Aussi, ils apportent leurs votes aux plus réactionnaires des hommes politiques locaux. Ce qui n’est pas le cas pour les Bretons de Saint-Denis où la Mission bretonne n’a jamais pu s’implanter. Les migrants bretons qui s’installent à Saint-Denis sont plutôt progressistes et soutiennent les socialistes révolutionnaires puis les communistes. Ils adhèrent à l’association des Bretons émancipés de la région parisienne fondée au début des années 1930 par le communiste Marcel Cachin (lui-même natif des Côtes-du-Nord). Cette association se différencie radicalement des autres mouvements bretons en soutenant l'émancipation des travailleurs bretons de "toute forme d’oppression, celle du capitalisme comme celle de l’Eglise". Les "Bretons émancipés" ont participé à la lutte contre le fascisme et ont soutenu les Républicains espagnols.
Comme partout dans le département de la Seine, le principal handicap des migrants bretons à s'intégrer à la vie dionysienne et au mouvement ouvrier local reste la communication : ils parlent toujours breton et pensent retourner au plus tôt en Bretagne. Peu le feront.
Ceux qui restent, comme les nouveaux venus, commencent à s'intégrer progressivement, notamment grâce à l'influence croissante du groupe socialiste breton de Saint-Denis animé par Jean Tremel dès 1898. Lors des élections municipales de 1912, leur vote est déterminant dans l'installation des socialistes à l'Hôtel de Ville. Deux des quatre adjoints au maire, Jean Trémel (déjà élu en 1904) et Jean-Marie Le Foll sont des Bretons.
Collection Amicale des Bretons de Saint-Denis
Les deux principales associations bretonnes de Saint-Denis, la Mission Bretonne et l'Amicale des Bretons de Saint-Denis, sont les témoins de cette histoire. L’une d’origine cléricale, l’autre qui doit sa naissance aux communistes, rappellent la présence en Île de France de cette double Bretagne, rouge et religieuse. Aujourd’hui, ces deux associations se sont éloignées de leur but d’origine et travaillent ensemble afin de faire vivre la culture bretonne en Ile de France.
De nombreux Bretons ont marqué l’histoire de Saint-Denis mais pour ne nommer que les plus contemporains, citons René Kersanté, le dernier maraîcher de Saint-Denis est né à Saint-Denis mais d’une famille originaire d’Ille-et-Vilaine. Pierre Douzerel, longtemps photographe à la mairie de Saint-Denis, a suivi durant de très nombreuses années les manifestations bretonnes de la ville et est devenu, à ce titre, l’un des spécialistes de l’histoire des Bretons de Saint-Denis.
Jules Trémel a exercé trois mandats municipaux, de 1965 à 1983. Son oncle et son père, Jean et Jules Trémel, à l’origine de la création de l’Amicale des Bretons de Saint-Denis, sont arrivés de leurs Côtes-du-Nord natales à la fin du XIXe siècle. Ils ont milité et ont été élus à Saint-Denis le premier en 1904 puis 1912, le second sur la liste du Bloc Ouvrier et Paysan en 1925, puis réélu en 1937 sur la liste conduite par Auguste Gillot. Il restera un élu dionysien jusqu’à sa mort en 1964.
Enfin, Patrick Braouezec, maire de Saint-Denis de 1991 à 2004, président de la communauté d’agglomération Plaine Commune de 2005 à 2015 et vice-Président puis Président de la Métropole du Grand-Paris est né à Saint-Denis mais est issu d’une famille bretonne. Enfin, Didier Paillard, actuel Maire de Saint-Denis ainsi que plusieurs adjoints (Stéphane Peu, Florence Haye, Julien Colas, Philippe Caro) ont des origines Bretonnes.
Quelques liens :
Les Bretons de Saint-Denis
16 rue Dezobry, 93200 Saint-Denis
Téléphone : 06 07 86 95 53 - Email : amicale@bretons-st-denis.fr
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