Rendez-vous pris avec Lora Romano au nouveau Tribunal de Paris, un lieu qu'elle connaît par c½ur. Après sa visite du bâtiment magistral de Renzo Piano, inauguré en 2018, Lora rappelle à chacun la possibilité d'assister aux procès en direct, qu'ils soient civils ou pénals. L'entretien avec notre guide a bien eu lieu sur place, mais beaucoup plus tard que prévu : pris par la tension d'une audience, personne ne parvenait à quitter la salle. Rencontre avec une passionnée.
Est-ce que cela vous arrive souvent de suivre une audience après la visite ?
Lora Romano : Cela peut m'arriver, mais là c'était particulièrement prenant. Vous savez, on a ici des procès plus ou moins importants - je pense à Charlie Hebdo par exemple - et toute la population civile qu'on voit s'exprimer. Ces histoires, c'est vous, c'est moi. On est toujours saisi par ce qu'on peut entendre. On peut être apeurés, on essaie de comprendre. Tout cela charge le bâtiment d'émotion. Je me souviens des pleurs pendant le procès France Télécom, ces gens qui demandaient réparation et se consolaient les uns les autres. C'est ce que la justice nous montre : l'émotion, et le recul nécessaire. Elle nous renvoie à notre vie la plus quotidienne. Chacun peut se reconnaître.
Vous montrez que cette balance entre raison et émotion se retrouve dans la conception architecturale de Renzo Piano...
En effet ! Cette balance est d'abord devant les salles d'audience, redessinée de façon moderne. Le bâtiment reflète aussi, plus largement, la transparence de la justice à travers l'emploi de matériaux comme le bois de hêtre, le verre de Saint-Gobain, la blancheur, les puits de lumière... Son orientation est fonctionnelle, destinée à faciliter la circulation et l'information. Tout est très clair. Il y a par ailleurs ici quelque chose du paquebot - c'est une image que j'entends souvent -, avec l'extérieur comme une voile de bateau. Chaque élément a un sens.
Vous faites également visiter le Palais de justice de l'île de la Cité. Pourquoi cette inclination pour la justice ?
J'ai toujours aimé le Palais de l'île de la Cité. C'est là que nos rois ont installé le siège du pouvoir judiciaire, avec toute l'histoire qui a suivi, celle des Capétiens, de la Révolution... La justice est passionnante parce qu'elle nous relie à notre histoire. Elle nous permet de visiter le passé tout en restant en prise directe avec notre quotidien - on le voit avec les procès qui impliquent des personnalités médiatiques. Chaque guide a sa spécialité, et c'est la mienne. Cela s'est fait progressivement, par opportunité. C'est bien souvent une affaire de rencontres.
Comment êtes-vous devenue guide ?
J'ai fait des études de tourisme, voilà plus de 30 ans. J'adore mon métier, je l'adore tous les jours. Nous sommes des passionnés. J'ai toujours été une vraie communicante, depuis l'école. Je voulais voyager, j'aimais l'art. Le guidage m'a permis de faire le lien entre les deux. J'aime accompagner des groupes, sans doute davantage qu'un seul individu. Car il y a toujours une émulation, un partage. Et j'aime aussi la mobilité. C'est une santé, ce métier !
C'est quoi, pour vous, une visite « réussie » ?
Pour commencer, j'aime faire découvrir les endroits que j'affectionne : ça donne plus de chance d'être bon quand on est au bon endroit. Autre exemple, je fais aussi la visite du cimetière animalier d'Asnières-sur-Seine sur ExploreParis, or je suis impliquée dans la cause animale. On parvient à transmettre quand on est soi-même transportés. On se sent utiles. On sensibilise les gens, on les éclaire peut-être. C'est là que je place la réussite.
Comment avez-vous vu évoluer le métier, entre le moment où vous avez commencé et aujourd'hui ?
J'ai été dans le tourisme international et je suis aujourd'hui dans le tourisme français : c'est une première différence. Ensuite, d'un point de vue quantitatif, il y a de plus en plus de visites en ce qui me concerne - on se fait une clientèle lorsqu'on est guide, on retrouve parfois les mêmes groupes. D'un point de vue qualitatif, le guide ne perd pas de sa motivation, au contraire : nous sommes d'éternels curieux ! Je savoure ma chance d'exercer un métier que j'aime. Je me fais plaisir, dans la vie professionnelle et en-dehors. Comme dans les musées où, face à un tableau, mes connaissances accumulées me sont toujours utiles.
Gardez-vous mémoire d'un compliment marquant reçu après une visite ?
Il y en a eu quelques-uns... Au château de Blois, un monsieur m'avait dit : « Vous n'avez jamais pensé à faire actrice ? » J'avais adoré ! On me parle régulièrement de ma voix, la voix chantante : « Vous avez une voix de sirène ! » Au cours de ma carrière, j'ai reçu des lettres, des invitations... Ces retours, ce que les gens vous rendent, c'est un autre grand plaisir du métier.
Et si vous deviez définir votre style ? Quel genre de guide êtes-vous ?
Je suis une hyperactive, et très réceptive. À l'environnement, aux populations, aux visages. J'aime faire plaisir, je suis dans l'émotionnel, l'affectif. Et je vais vous dire : le meilleur des compliments, c'est quand tout un autocar vous fait la bise en partant.
Merci Lora !