Historien de l’architecture, Sébastien Radouan raconte l’histoire et les mutations de la Seine-Saint-Denis au gré de ses balades. Un territoire qu’il connait sensiblement bien puisqu’il y est né et y vit toujours. Découvrez son portrait.
Bonjour Sébastien, pouvez-vous nous expliquer qui êtes-vous ?
Je suis docteur en histoire de l'art, et historien de l’architecture. J'ai enseigné 8 ans en école d'architecture, en histoire et cultures architecturales. Depuis 2018, je suis membre actif de l'association pour un musée du logement populaire, l’AMULOP, qui œuvre pour la valorisation du patrimoine des quartiers populaires.
Mon parcours académique inclut un master recherche en histoire de l'art, que j'ai réalisé sur l'architecture du logement chez Denis Honegger, un architecte qui a travaillé sur le quartier de l'église de Pantin. J'ai poursuivi, quelques années après, avec un doctorat sur la rénovation du centre-ville de Saint-Denis, intitulé "La rénovation du centre-ville de Saint-Denis aux abords de la Basilique, une modernité à la française, 1944-1998". Ce travail de recherche m'a permis de développer une approche problématique et critique de son histoire en explorant ses dimensions territoriales, urbaines et sociales.
Comment avez-vous décidé de devenir guide ?
Depuis 2009, je conçois et anime des visites guidées, principalement axées sur le logement social et l'histoire urbaine de la Seine-Saint-Denis. Mon intérêt pour ce domaine a été renforcé par plusieurs expériences et rencontres qui m’ont profondément marqué.
En 2004, j'avais été très impressionné par le musée précaire albinet de Thomas Hirschhorn à Aubervilliers1. Hirschhorn est un artiste de renommée internationale. Il avait réussi à convaincre le Centre Pompidou de lui prêter des œuvres d’art originales afin de les exposer, durant une année, au pied d'une barre d'immeuble d’un quartier d'Aubervilliers. C'est le quartier Cristino Garcia - Landy, qu'on appelait la petite Espagne, encore insalubre dans les années 2000. Il était en cours de rénovation et concentrait beaucoup de pauvreté, beaucoup de mal-logement. Cette découverte me confirmait dans l’intuition que la rencontre avec l'art peut changer la vie, en tout cas ouvrir des perspectives et les imaginaires.
Après cette rencontre, j'ai mis la recherche de côté pour m'engager dans la réalisation de projets culturels et artistiques, en intégrant tout d’abord un master professionnel touchant aux enjeux de l’urbanisme culturel. Entre 2007 et 2010, j'ai travaillé pour un collectif de photographes et de rédacteurs, le collectif Argos, où j'étais chargé de projets, développant des projets documentaires et cherchant des financements. J’ai ainsi pris part à la réalisation du projet Gueule d’Hexagone, un portrait parcellaire de la France en six enquêtes, revenant sur les territoires parcourus dans les années 1950 et 1960 par le photographe Jacques Windenberger. Je me suis en particulier investi dans la résidence à Sarcelles où le webdocumentaire Sarcellopolis, autour des voyageurs de la ligne de bus 3.6.9, a vu le jour. Cependant, je me suis rendu compte que la production de projets ne me correspondait pas complètement. Je préférais être sur les contenus. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de revenir à la recherche et de proposer des visites guidées.
Quel rapport avez-vous au territoire ?
Je suis né et j’ai grandi en Seine-Saint-Denis, et j’y vis toujours. Je suis né à Bondy. Ensuite, dans ma petite enfance, j'ai déménagé à Aubervilliers.
Depuis l'âge de 6 ans, j'habite à Bobigny. J'ai toujours vécu en logement social. J'ai une connaissance et une pratique du logement social, de ces quartiers d'habitat social.
Je suis ensuite allé au Collège Pierre Sémard qui est un collège tout bois avec une structure d'arches en bois auxquelles sont suspendus les planchers. En plan, ce collège forme un éventail avec au centre la cour. C'est une œuvre ambitieuse, puissante qui témoigne aussi d'une ambition des pouvoirs publics, du conseil général à cette époque-là, pour les enfants de la Seine-Saint-Denis. Aujourd’hui ce site est abandonné, j’aimerais le faire visiter mais il me faut l’autorisation du Département. C'est un lieu – comme d'autres à Bobigny – qui nous interpelle quand on le parcourt, quand on le pratique. Je dirais qu'il m’a fait grandir?; il participe d'une conscience de soi. Ce sont souvent soit des architectures, soit des espaces qui contribuent à prendre conscience de son corps dans l'espace, de son existence, de son rapport au monde. Ce sont des environnements très stimulants.
C'est pour cette raison que j'ai fait un master en histoire d'architecture ; pour répondre à ces interrogations, à cette envie de mieux connaître, de comprendre les tenants, les aboutissants, les rouages de cette histoire, d'où je venais, pourquoi j'avais grandi là, qu'est-ce que cet environnement me raconte individuellement et collectivement dans mon parcours.
En fait, je dirais que c’est une forme de lutte, puisque quand on grandit dans ces territoires, on a quand même le sentiment d'être souvent stigmatisé. En faisant de la recherche, c'est-à-dire en cherchant à mieux connaître ce territoire et en transmettant les savoirs acquis, il y a aussi cette volonté de faire exister ce territoire, de le donner à voir, le comprendre et donc le valoriser. Cette banlieue apparaît comme inachevée ; elle est dans un mouvement continu, en mutation, en transformation permanente. C’est à la fois une force et une faiblesse au regard de la violence symbolique que représentent par exemple les démolitions.
Pourriez-vous nous raconter son évolution ?
Le territoire de la Seine-Saint-Denis a une histoire urbaine, c’est un territoire de cultures légumières, de friches, de bois transformé par l'industrie, modernisé après la Seconde Guerre mondiale, avec la construction de grands ensembles, de grands équipements et de grandes infrastructures de circulation. Moi, je donne à voir cette histoire, je donne à lire le paysage.
Quand je parle d'une lecture du paysage, c’est-à-dire une lecture de ce qui nous entoure, de notre environnement, c'est interpeller finalement le visiteur. Je l’invite à regarder pour comprendre et interroger en prenant en compte les commentaires que j’apporte. Finalement, ça, c'est le métier d'enseignant. C'est le travail pédagogique en école d’architecture. Il y a des passerelles entre mes expériences d’enseignement et de visite dans la manière de transmettre.
Bobigny est un exemple de l'urbanisme de dalles, où les circulations automobiles et piétonnes sont strictement séparées. Détruit en 2018, le centre commercial était à bout de souffle. Il était pourtant la clef de voute de ce réseau de dalles et de passerelles. Ce modèle d’urbanisme est considéré comme un échec, comme celui des grands ensembles d’ailleurs. Les quartiers de banlieues sont sujets à de nombreuses démolitions depuis vingt ans, sans prendre suffisamment en compte, à mon avis, l’histoire et même certaines qualités de ces lieux. Cette évolution rapide et parfois brutale a profondément marqué le paysage urbain et social de la Seine-Saint-Denis. Grâce aux professionnels du patrimoine et de l’architecture, mais aussi des habitants, certaines rénovations urbaines comme par exemple, Les Courtillières à Pantin sont heureusement plus respectueuses de l’existant.
Parlez-nous de votre collaboration avec ExploreParis.com. Qu'est-ce que la plateforme vous a apporté ?
Ma collaboration avec ExploreParis.com m'a permis de toucher un large public et de partager mon intérêt pour l'histoire urbaine et architecturale. La plateforme m'a apporté une visibilité accrue et des retours précieux de la part des participants, ce qui m'a aidé à améliorer mes visites. Les commentaires, qu'ils soient positifs ou négatifs, m'ont permis de m'améliorer et de mieux répondre aux attentes des visiteurs.
ExploreParis.com propose actuellement quelques places pour le cycle de visites "Le Grand Tour des Cités du 93" que j’ai mis en place avec la MC93. Cette série comprend dix visites, une par mois, couvrant des cités reconnues pour leur patrimoine ou leur histoire à Bobigny, Pantin, La Courneuve, Aubervilliers et Saint-Denis. Chaque visite est une occasion de découvrir l'histoire et les transformations du territoire, en mettant en avant les témoignages des habitants. En effet, la particularité de ces visites est que je convie, dans la mesure du possible, une habitante ou un habitant pour qu’il partage avec le public son expérience de vie dans son logement. Le public adore !
Avez-vous une visite préférée ? Une anecdote à partager ?
Chaque visite est unique. Mais une anecdote mémorable est celle de la visite de la Maladrerie à Aubervilliers. Lors de cette visite, nous avons eu la chance de rentrer dans un appartement grâce à l'invitation spontanée d'un habitant qui nous avait croisé dans la cité. Il se trouve que c’était M. Boualem Benkhelouf ! Un élu d’Aubervilliers d’une très grande gentillesse, militant de la première heure contre le racisme, malheureusement décédé du COVID. Et il nous a invité chez lui, avec tout le groupe de 20 personnes. Cette expérience a permis aux participants de découvrir l'intérieur des logements et de mieux comprendre la vie quotidienne des habitants. J’avais toujours espéré pouvoir entrer dans un appartement mais c’est un peu délicat de convaincre les locataires. L’appartement, c’est l’intimité. Et là c’était très surprenant que cet habitant, spontanément, nous invite à entrer chez lui !
Quelles bonnes adresses nous recommandez-vous ?
Pour déjeuner à Bobigny, je recommande le restaurant de la MC93 et le restaurant italien de La Molisana. J’aime bien aussi aller au buffet asiatique Sushi 93. À Aubervilliers, il y a le restaurant tunisien Le phare de la Goulette, mais d’autres aussi où l’on sert la molokheya, un de mes plats préférés quand je vais en Tunisie.
J’aime me promener sinon le long du canal de l’Ourcq, avec sa piste cyclable menant d’un côté au parc de La Villette et de l’autre au parc de La Poudrerie de Sevran.