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Valentine Gardiennet, portrait d'une artiste engagée


  • Valentine Gardiennet it takes a village exposition Magasins Généraux

Valentine Gardiennet est artiste plasticienne, et elle présente aux Magasins Généraux son exposition it takes a village, à partir du 22 mars 2025.

Peux-tu nous parler de ton parcours ?

J’ai été diplômée de la Villa Arson en 2020, j’y suis restée 5 ans, je vivais sur place, à l’internat. Ce lieu est vital à l’école, j’espère qu’il continuera d’exister. Après ça, je suis venue à Paris après avoir habité 20 ans dans le sud entre le Gard et Nice, et j’ai postulé pour avoir un atelier au Wonder, en répondant à un appel à projet. Je suis d’abord entrée dans un atelier volume, métal et bois, puis j’ai été dans un atelier plus calme, avec des pratiques autour de la peinture, du dessin et de l’impression.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Quand j’étais étudiante à Nice, j’allais parfois à l’opéra. Ce qui m’intéressait le plus, c’était la scénographie, les décors. J’ai également fait du théâtre quand j’étais ado, et tout cet aspect de mise en scène, est resté. Ce qui m’intéresse, c’est de mettre en scène des figures humanoïdes ou animales, en dessins et en sculptures. Avec cet intérêt pour ce qui construit l’espace domestique, le motif, des choses liées à des souvenirs familiaux que je fantasme à nouveau. Je me suis demandée quelles seraient les présences qui pourraient habiter les espaces que j’essayais de fabriquer. Je me suis intéressée à ce qui formait un individu dans la société, de quoi on est fait : toute la dimension sociale, amicale, relationnelle, qui fait que l’on cohabite ensemble. Toutes ces choses-là viennent nourrir mes personnages ; j’ai envie que quand on se retrouve face à mon travail, on puisse se projeter, se dire que même si on ne sait pas exactement pourquoi, ce personnage nous évoque quelque chose. C’est aussi pour cela que mon travail est figuratif, coloré. J’ai envie qu’il y ait une forme d’accessibilité, au moins visuelle, à mon travail, pour cela je regarde beaucoup de dessins animé comme The Animals sur AdultSwim, ou récemment la saison 1 de Sausage Party, mais aussi des BD comme celles de Pizzayolaude ou Salomé Lahoche, qui sont géniales. Je regarde aussi le travail de Julien Carpentier, Stéphanie Cherpin, Vimala Pons ou encore Brieuc Schieb.

Comment se construit une exposition ?

J’ai rencontré Anna Labouze et Keimis Heini, les commissaires d'exposition, l’été dernier. Iels m’ont proposé de faire cette exposition dans les Magasins Généraux, qui est un lieu d’environ 800m² au sol. J’ai été très stimulée par cette idée, j’ai tout de suite pensé que cela pourrait être une plateforme de travail intéressante, comme dans Dogville de Lars Van Trier, où je pourrais monter un travail en kit autour de toutes les pratiques que j’ai, qui vont du métal au dessin. Après, j’ai fait un planning de travail autour des 5-6 pôles d’installation que je voulais construire et j’ai embauché des étudiant.x.es en école d’art. Nous avons travaillé collectivement avec une dizaine de personnes.

J’ai aussi postulé pour avoir la bourse de la Fondation des artistes, et faire le dossier m’a aidé à écrire le projet en amont de la production. Après ça, j’ai fait un planning pour travailler chaque mois sur une installation différente. Je dirais que construire cette exposition aura presque pris une année scolaire et s’est monté comme un décor de cinéma, mais sans film à la fin.

Ton travail est articulé autour de grandes formes colorées. Qu’est-ce qu’elles représentent, pour toi ?

Ce qui m’intéresse dans ces formes, c’est qu’elles viennent puiser dans l’imaginaire collectif, qu’on voit un peu partout. J’utilise des matériaux récupérables : du papier journal, du grillage à poules et du bois. Cela a trait aussi au métier de marionnettiste : certaines têtes de personnages seront remplies de paille, et leurs yeux s’animent grâce au travail de Gabriel Audétat sur la robotique (Jeune GDB). Cet univers est à l’intersection entre les animatroniques et le do it yourself, de la fabrication rapide et efficace, pour faire prendre vie à des formes qui m’intéressent et qu’on retrouve dans le théâtre, l’opéra, le cinéma ou le carnaval. Le fait d’utiliser une colorimétrie très large, des couleurs vives, me permet de faire écho à certains univers de films que j’aime : les silly symphonies, les films Chairs de Poule… Cela fait aussi écho au Bread & Puppets theatre, une compagnie de théâtre et de marionnettistes progressiste née en 1962. La compagnie s’inscrit dans le mouvement radical américain, né en même temps que la lutte pour les droits civiques. Elle s’oppose à toute forme de répression, de guerre, d’injustice. D’où son nom générique de théâtre radical.

Ce qui m’intéresse c’est de parler des relations entre les genstes, l’amour ou le désamour, les relations de pouvoir en puisant des des séries comme Fleabag  par exemple. Utiliser ces personnages me permet de dédramatiser ces enjeux, de prendre du recul pour mieux les envisager en tant qu’archétype et en faisant intervenir des formes populaires.

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Est-ce qu’il y a une différence entre être un homme ou une femme, en tant qu’artiste ?

Bien sûr. Il y a une grande différence entre être un homme et une femme dans la société en général, et cela se voit également dans le milieu artistique. Nos idées, nos critiques et nos façons de pratiquer l’art ne sont pas perçues et reçues de la même façon. Il y a encore beaucoup de discriminations, de misogynie quotidienne partout et de violence qui provoque de la colère légitime et un grand sentiment d’injustice, avec lequel on doit vivre parfois le plus calmement possible pour s’adapter. En faisant le point avec d’autres ami.x.es, j’ai pu construire une façon de travailler et de me défendre, mais aussi de partager les vécus. Jusqu’à il y a très peu de temps, on exposait très peu de femmes artistes. Il existe encore aujourd’hui des expositions collectives avec seulement des hommes. Si les choses peuvent sembler évoluer doucement, l’actualité ambiante nous montre que tant que ça n’aura pas complètement changé, il faudra qu’on continue à se battre et à en parler.

Je ne suis pas discriminée sur tous les points en comparaison à d’autres personnes : je suis une femme blanche, artiste et privilégiée. J’ai la chance d’avoir un atelier et de vivre dans le lieu où je travaille et suis bénévole, donc je n’ai pas à payer de loyer, ce qui change tout. Par contre, la misogynie, je la ressens quotidiennement, que ce soit dans le milieu de l’art ou ailleurs, avec de petites remarques anodines qui peuvent en faire état.

Depuis que je suis artiste, dans les centres d’art et dans les lieux où je travaille, je rencontre souvent des personnes qui s’emparent également de ces sujets et pas juste pour les tokeniser ponctuellement, c’est agréable car l’atmosphère se détend forcément quand on se sent bien, écouté et représenté.

Dans le monde de l’art, il y a une grande différence entre la défense que font les hommes de leur travail et celle des femmes. Quand les femmes abordent des questions féministes dans leur travail, on peut s’entendre dire que c’est « facile », ou que l’on a rien à dire et que c’est un prétexte à faire des œuvres. Alors que c’est une forme de privilège de ne pas en parler, et ça bien entendu les hommes nous le rappellent régulièrement. Heureusement qu’ils sont là.

Y a-t-il une dimension féministe dans ton travail ?

La dimension féministe de mon travail est partout, même si elle n’est pas forcément évidente plastiquement. Aux Beaux-Arts, les élèves qui avaient accès aux ateliers techniques (bois, métal…), la plupart du temps, c’était des hommes. Pour contrecarrer cela, j’essaie d’embaucher des personnes qui ne sont pas des hommes cisgenres, pour privilégier une transmission paritaire au maximum.

Dessin Valentine Gardiennet

Il y a aussi une envie que ce soit une affirmation de prendre de l’espace. C’est pour ça que je fais sortir ma pratique des carnets. Elle a le même intérêt en dessin qu’en sculpture ou en volume, mais c’est important qu’elle se transforme et qu’elle s’étende au niveau de l’architecture.

Est-ce qu’il y a des femmes artistes qui t’inspirent au quotidien ?

Quand j’étais aux Beaux-Arts, on me citait beaucoup des références autour de la figuration et de l’humour, et c’était principalement des hommes artistes, comme Paul McCarthy ou Mike Kelley. Leur travail m’a beaucoup apporté dans mes études. Récemment, j’ai lu La gloire de la bêtise, de Morgan Labar, et dans une interview où il évoque le livre, il explique que toutes les références utilisées dans le livre sont des hommes. Il explique pourquoi. Cette phrase m’a marquée : "l’individu joue plus facilement à être bête quand il est dans une situation de relatif confort ou de privilège. Si l’utilisation de la bêtise n’est pas seulement réservée aux mâles alpha, elle est plus facilement pratiquée quand l’individu n’a pas à justifier sa place dans un groupe déterminé". Cela expliquerait que dans l’histoire de l’art plutôt sexiste et sélective, on ne retrouve que très peu de femmes qui lient humour, bêtise et art contemporain. C’est toujours plus difficile d’avoir une légitimité à parler d’humour dans son travail quand on est déjà pas prise au sérieux en tant que femme, ou qu’on doit sans cesse justifier de son intelligence.

Beaucoup de femmes artistes m’inspirent : mes amies en premier lieu, qui sont artistes ou qui l’ont été et sont artisanes désormais ou bijoutière, qui travaillent pour fabriquer des parquets sur des bateaux ou qui ont monté des grosses colocs cool. Il y a aussi les profs de dessin qui m’ont aidé à faire du dessin une pratique importante, pas seulement liée à l’intime ou au statut de dessin préparatoire, et là je pense à Joan Ayrton ou à Katrin Ströbel.

Je pense aussi à des artistes qui m’accompagnent, Roy Köhnke, Silina Syan, Camille Chastang, Héloïse Farago, Marie l’Hours, Martha Maria Le bar, Alexia Caamano, qui sont des personnes à qui je parle beaucoup.

Il y a également des artistes que je ne connais pas du tout, comme Marnie Weber ou Lily Van der Stokker, dont j’aime le travail parce qu’il fait écho à des choses drôle ou des formes qui me touchent. Lily Van der Stokker, par exemple, peint sur de grands immeubles à New York pour rendre visible ce qu’il se passe dans un journal intime fictif. Ce sont des pratiques qui m’ont nourrie et qui continuent de me faire avancer. Il y a beaucoup de couleurs ou de maquillages dans leur travaux, ça donne le sourire, c’est revigorant et joyeux.

Je suis également influencée et touchée par les étudiant·e·s avec qui j’ai bossé, et qui vont tellement plus vite sur pleins de questions que j’ai pu le faire durant mes 5 ans aux Beaux-Arts de 2015 à 2020. J’ai fait un workshop aux Beaux-Arts de Brest, j’ai trouvé très inspirant de voir ces personnes évoluer dans leur pratique et interroger leur façon de travailler ensemble. Ça donne beaucoup d’espoir.

Est-ce qu’il y a un conseil que tu pourrais donner à des jeunes artistes ?

Certains conseils ou injonctions que j’ai reçus ne m’ont rien apporté et étaient paternalistes. Je pense qu’il faut prendre à droite à gauche les conseils qui nous font du bien et qui nous font grandir, et faire le tri. Personne ne nous attend nulle part. Je n’ai pas vraiment de conseils à donner à de jeunes artistes, parce qu’il y a un vrai dialogue, une autonomie et une entraide entre les gens aux Beaux-Arts en ce moment. Je pense que le truc pour s’aider ce serait de rester ouvert aux autres, et d’être généreux·se dans la façon de communiquer et de s’entraider. D’ailleurs, pas forcément dans l’art, dans la vie en général et le monde. Je me dis que chaque génération évoluent avec son lot de formes et de mises en lutte, et je trouve ça encourageant et très cool à voir.

Jeudi 06 mars 2025 - 16:40

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