On le sait peu mais le département de la Seine-Saint-Denis possède une longue histoire viticole et vinicole, même si celle-ci n’était qu’une culture minoritaire face aux plaines à blé ou aux zones boisées. La culture de la vigne et l’industrie du vin ont longtemps constitué dans toute la région parisienne, et en Seine-Saint-Denis en particulier, une tradition. "Historiquement, explique Patrice Bersac, président des Vignerons franciliens réunis (VFR), il y avait beaucoup de vignes autour de Paris pour l’approvisionner, dont une petite production en Seine-Saint-Denis jusqu’au tout début du XXe siècle, à Montreuil, Épinay, Saint-Denis, etc." De bonne qualité au Moyen âge, piquette au XIXe siècle, on disait du "petit vin d’Aulnay" que c’était un "clairet" un peu dur. Le "guinguet" petit vin aigre des barrières, donnera son nom aux guinguettes.
Décimée par le phylloxéra aux alentours de 1900, les vignes ont disparu de notre paysage. Aujourd’hui, en Seine-Saint-Denis, des cépages ont été replantés et les vendanges et les fêtes qui les accompagnent sont autant d’occasions de redécouvrir cette tradition oubliée !
Visites autour du vin et de la gastronomie
Saint-Ouen - Les vendanges dans les vignes de M. Bon Compoint © Archives départementales du 93
Probablement que la culture de la vigne en Gaule était plus ancienne, mais c’est au Moyen âge qu’elle est attestée avec certitude en Ile-de-France. La qualité des sols et la variété des expositions, éléments non négligeable, expliquent le succès de la viticulture (culture de la vigne) et de la viniculture (industrie du vin) autour de Paris.
En multipliant ses méandres, en s’enfonçant à travers des terrains de nature géologique très variée, la Seine accroît les terroirs propices à la culture délicate de la vigne. Les historiens médiévaux s’accordent à reconnaître au vin "françoy", ou "français", vin de l’Île-de-France, une certaine qualité due à la présence dominante du cépage noble qu’était le pinot de Bourgogne utilisé à la fabrication du vin rouge et le fromental pour le vin blanc. Au Moyen âge, le vin blanc était beaucoup plus prisé qu’il ne l’a été, par la suite, à l’époque moderne et contemporaine. Des cépages de moindres qualités existent : le meslier pour le blanc, le gamay pour le rouge. Chaque bourgeois, chaque abbaye possède ses vignes blanches et ses vignes noires aux dates de vendanges échelonnées.
Il est impossible de mesurer la place exacte occupée par le vignoble dans le paysage rural du Moyen âge. Seules des superficies partielles, comme celles appartenant aux grandes abbayes sont connues. Tout au plus savons nous que le vignoble était beaucoup moins étendu vers 1300 qu’il ne l’était vers 1700 ou 1800. À ceci deux raisons : la population était moindre et, surtout, le vin n’était pas une boisson consommée par les classes populaires.
Le vin, marchandise délicate, souffre des longs voyages, aussi son commerce ne s’exerce-t-il pas régulièrement tout au long de l’année. Le transport par voie d’eau l’emporte largement. Les marchands savent le vin nouveau attendu et celui-ci doit arriver sur la table des consommateurs avant les gelées. Le vin, à cette époque, ne se conserve pas et le vin vieux devient rapidement imbuvable. On ne cherche pas à faire vieillir le vin. Le vin vieux est celui récolté l’année précédente. Certains crus cessent d’être de bonne qualité dès Pâques et, souvent, les marchands jettent le vin invendu lorsqu’arrive la nouvelle récolte.
Au Moyen-âge, le commerce du vin se fait dans deux directions : vers Rouen et vers l’Angleterre par la Seine ; vers la Picardie, les Flandres et les Pays-Bas par l’Oise. Tous les lieux viticoles situés sur la Seine sont commercialisés par des marchands rouennais (en pays rouennais, le pommier à cidre ne s’impose qu’au XVIe siècle où il triomphe surtout en Normandie. Jusque là, le commerce du vin domine).
Soulignons le renom du vin "français" : il alimentait aux XIe et XIIe siècles (voire à l’époque carolingienne) un commerce beaucoup plus important qu’à la veille de la Révolution de 1789. Les vins de la Seine-Saint-Denis sont cités dès le IXe siècle grâce à la vigne d’Épinay-sur-Seine. Mais l’on trouve également de la vigne à Clichy-en-Aulnoy (Clichy-sous-Bois), Coubron, Gagny, Livry, Montfermeil, Noisy-le-Grand, Vaujours et Villemomble. Même les villages dont la grande culture est le revenu principal, comme à Tremblay-les-Gonesse (Tremblay-en-France), le vignoble est présent ne serait-ce que pour alimenter en vin de messe les abbés de Saint-Denis, seigneur du lieu. Des vignerons sont également présents au Pré-Saint-Gervais, alors un hameau de Pantin. Nicolas de la Framboysière, conseiller et médecin d’Henri IV, disait que les vins "creus es environs de Paris ont déclarez bienfaisans de diverses manières et en ceci qu’ils ne remplissent pas la teste de vapeurs âcres". La trace de ces "clos" de vigne reste dans nos souvenirs par le biais de noms de rues anciens, telle la rue des Vignes à Epinay, la rue du Clos-Barré (actuelle rue Jules-Guesdes) au Petit-Tremblay ou l’ancienne rue du Pressoir à Pantin.
D’une manière générale, les abbayes tiennent une place prépondérante dans le développement de la culture de la vigne et la diffusion du vin. Pour la région parisienne, il s’agit tout à la fois des abbayes parisiennes et des abbayes normandes. L’abbaye de Saint-Denis se constitue un vignoble autour d’Argenteuil (l’un des plus fameux de la région parisienne) et de Cormeilles-en-Parisis. L’abbaye de Saint-Germain des Prés considère le vignoble de Suresnes, sur les pentes du mont Valérien comme son plus beau fleuron. Quant au chapitre de Notre-Dame de Paris, il a jeté son dévolu sur deux ensembles de terroir : sur la rive droite de la Seine et de l’Oise, l’ensemble de Vauréal, Jouy-le-Moutier et surtout Andrésy ; sur la rive gauche, un vaste territoire allant de Flins à Mézières en passant par Aubergenville et Epône.
La présence de la vigne sur la commune d’Epinay, partagée entre divers petits seigneurs laïcs et religieux, est attestée dans des documents depuis le IXe siècle. Les Spinassiens vivent alors des activités portuaires sur la Seine et, notamment, du commerce des cultures maraîchères et céréalières et de la production d’un vin qui concurrence celui d’Argenteuil. Idem à Noisy-le-Grand, qui appartient à l’abbaye parisienne de Saint-Martin des Champs, ou à Rosny-sous-Bois, propriété de l’abbaye de Sainte-Geneviève, où le vin est connu dès le Moyen âge et dont la production fait travailler plus de la moitié de la population. À Montreuil, dès le milieu du XVIIe siècle, les vignerons élèvent des murs pour abriter les variétés fruitières les plus sensibles. Ces murs couverts d’arbres sont improprement appelés "murs à pêches". En effet, les pêchers n’occupent que les expositions méridionales alors que des cordons de chasselas sont conduits au sommet.
Saint-Ouen, qui est aux mains des chanoines de Saint-Benoît de Paris (avant que les moines de Saint-Denis n’en deviennent les propriétaires), a longtemps été un village de vignerons. Les actes de ventes, nombreux au XIIIe siècle, l’attestent. Ainsi, Gautier Ribout achète des vignes en 1249 au lieu-dit Chantaloue. Guillaume le Bourrelier acquiert deux pièces de vignes en 1254 et, la même année, Aubin le Mercier six arpents. Saint-Ouen (tout comme Pantin) possède un pressoir à vin banal, c’est-à-dire appartenant au seigneur qui en impose l’utilisation exclusive, moyennant évidemment une redevance. Entre le IXe et le XIIe siècle, les vignes sont nombreuses et s’étendent sur les flancs du coteau dominant le sentier de halage le long de la Seine. Au XIVe siècle, la foire du monastère fondée par Dagobert 1er, devient une véritable foire à vin pour toute la région. La vigne commencera à diminuer sérieusement à Saint-Ouen à la fin du XVIIIe siècle avec l’expansion des parcs des châteaux et des maisons de plaisance. Le dernier ban des vendanges de Saint-Ouen date de 1911 et les dernières vendanges de 1915.
Dans ces villages, la vigne est cultivée pour les besoins des chanoines et ceux des monastères et abbayes à qui les fiefs ont été concédés. Pour vendre le fruit de leur récolte, les vignerons doivent attendre le "feu vert" des chanoines de leur seigneurie. En effet, avant la Révolution, les serfs ne peuvent vendre le produit de leur nouvelle récolte qu’après la fin de la vente de celui du seigneur. Une fois fait, celui-ci indique la date du "ban à vin", jour où les vignerons sont autorisés à commencer leur commerce. Non seulement les vignerons sont tenus d’observer cette coutume, mais ils doivent encore payer un droit seigneurial sur le vin en cuve auquel s’ajoute un droit pour le passage de leur vin sur la terre du seigneurs. Après ces "droits de vinage", le bénéfice restant est quasiment nul.
La viniculture ecclésiastique, aristocratique et princière donne lieu à des soins vigilants, à un respect jaloux de la qualité des cépages et du vin récolté. C’est un vignoble prospère, renommé, qui s’étale tout autour de Paris à la fin du Moyen âge. À cette époque, il déborde du cadre de l’Ile-de-France, se prolonge vers le Nord en englobant la Picardie, et vers Rouen en s’étendant en aval de Vernon. À l’orée du XVIIe siècle, ces deux dernières régions connaissent déjà un net recul alors que le vignoble proprement "français" (entendez de l’Ile-de-France) n’a pas encore atteint sa plus grande extension.
Le recul vers le Sud, sensible surtout à partir de l’époque moderne (période allant de la fin du Moyen âge, c’est-à-dire la seconde moitié du XVe siècle, jusqu’à la Révolution française), se concrétise au début du XXe siècle par l’abandon quasi général de la viniculture en région parisienne.
Un argument spécieux, communément utilisé par les détracteurs du vignoble parisien, consiste à dire que les changements climatiques ne permettent plus de faire prospérer la vigne là où jadis elle poussait ses pampres. En admettant qu’il y ait eu changement de climat en région parisienne, nous sommes en droit de nous demander pourquoi seule la région de l’Ile-de-France en aurait été affectée et non la Champagne, pourtant toute proche. En fait, la disparition du vignoble parisien semble tenir avant tout à des raisons économiques parce que peu rentable.
Le paysan qui s’occupe plus spécialement du travail de la vigne se nomme "vigneron" parce que le mot est commode. Or, au XVIIe siècle, ce vocable est presque nouveau. Certes, il est employé depuis le Moyen âge et Jean le Bon n’utilise que lui lorsqu’il réglemente les salaires en 1350 après la grande peste noire. Mais les documents courants, tels les registres notariés ou les registres terriers, l’ignorent jusqu’à la fin du XVIe siècle. Au début de l’époque moderne, l’appellation de "laboureur des vignes" supplante encore amplement celle de "vigneron".
Dans les 642 actes notariés du tabellionage (recueil d’actes notariés) d’Argenteuil conservés pour les années 1496/1500, c’est toujours l’expression "laboureur des vignes" qui revient. Un siècle plus tard, toujours à Argenteuil, le laboureur des vignes est encore majoritaire dans le vocabulaire des notaires, mais deux appellations, vignerons et laboureurs-vignerons, se rencontrent de plus en plus fréquemment. Encore un demi-siècle et le vocable "vigneron" triomphe définitivement.
Marcel Lachivier, dans son ouvrage Vin, vignes et vignerons en région parisienne du XIIe au XIXe siècle, affirme que dans la plupart des communes vinicoles, le mot vigneron l’emporte au XVIIe siècle. Il remarque également que les termes vigneron et laboureur se chargent d’une connotation sociale à mesure que progresse l’époque moderne. Le "vigneron" est celui qui travaille la vigne mais ne la possède pas nécessairement : c’est un ouvrier qualifié. Au contraire, le laboureur, de simple travailleur de la terre qu’il était (et reste dans de nombreuses régions au sud de la Loire) devient un exploitant agricole, propriétaire d’un attelage et d’une charrue. Il se trouve souvent désigné comme "fermier-laboureur".
Le vigneron est avant tout le laboureur des vignes, c’est-à-dire celui qui, au sens général du mot labour, travaille la vigne. Dans tous les dictionnaires du XVIe au XVIIIe siècle, labourer conserve le sens de travailler. Le fait de décharger les tonneaux de vin sur les quais de Paris s’appelle le "labourage des vins" et le marinier, jusqu’au XVIe siècle, se nomme un laboureur !
Avec la Révolution française, le terme de vigneron disparaît presque totalement. L’administration ne connaît plus que des "cultivateurs", de même que notre administration contemporaine ne parle plus que "d’agriculteurs". Pourtant, le mot de vigneron est réapparu depuis le XIXe siècle et se maintien dans les communes où la vigne conserve quelque importance – du moins dans le langage courant.
Au Moyen âge les couches populaires ignorent la consommation du vin. Elles boivent de la cervoise ou une boisson faite d’eau repassée sur les marcs de raisin car l’eau est très souvent polluée. En revanche, les moines des abbayes et les seigneurs s’en abreuvent et exigent une haute qualité des cépages. Au XVIIe siècle, la qualité du vin baisse car aux plants anciens de qualité sont substitués des plants à grand rendement donnant un vin inférieur aux vins produits par des cépages de grande réputation.
L’accroissement de la population parisienne crée un nouveau marché et les gens du peuple entendent bien introduire l’usage du vin dans leur vie quotidienne. Ne pouvant avoir accès aux vins fins et nobles, la population laborieuse recourt tout naturellement à ceux produits par des cépages tels que le gamay ou le gouais, au rendement abondant et que cultivent les vignerons parisiens. Cette nouvelle culture se fait au détriment de la viticulture de qualité, de plus en plus délaissée par les nobles et les bourgeois qui, profitant du développement des moyens de transport, préfèrent se procurer du vin dans des vignobles plus éloignés comme la Bourgogne ou le Bordelais. Cette nouvelle forme de viticulture, de moindre qualité, progresse jusqu’à la Révolution française, entamant le début de la ruine de la réputation du vin "français". Ainsi, l’extension du vignoble parisien et sa chute qualitative ont l’une et l’autre la même origine à caractère populaire.
Dès la fin du XVIIe siècle, on assiste à la formation de "groupements de cabarets populaires d’une importance telle que, désormais autour de Paris, le peuple formé aux tâches de la vigne et du vin, de devait plus avoir d’autre emploi que de travailler à l’approvisionnement de ces débits de barrières" écrit Oger Dion dans son Histoire de la vigne et du vin en France. Au XVIIIe siècle, guinguettes et marchands de vin fleurissent autour de Paris. La nouvelle clientèle des guinguettes offre un nouveau marché qui progresse jusqu’à la Révolution française et au-delà, causant la ruine de la réputation du vignoble "français". Enfin, considéré comme un complément à une nourriture souvent insuffisante et un stimulant pour les tâches pénibles, le vin sera déclaré "boisson hygiénique" au XIXe siècle. Le vin coupé d’eau est la boisson quotidienne jusqu’à la fin du XIXe siècle, voire au début du XXe siècle, y compris pour les enfants.
Si la profession devient bien définie et, comme nous l’avons vu précédemment, le vigneron est celui qui travaille la vigne, elle n’est pas toujours suffisamment rémunératrice pour faire vivre toute une famille. Aussi, le vigneron doit-il chercher des ressources complémentaires dans un second, voire un troisième métier.
Dans les registres de paiement de la taille au seigneur et au roi, les professions les plus mentionnées sont celles de vignerons-cabaretiers et vignerons-tonneliers, associations tombant sous le sens. Plus étonnantes sont celles de vignerons-tisserands, vignerons-buralistes, vignerons-bourreliers, etc. Presque tous les métiers de l’artisanat et des services peuvent se conjuguer avec le mot vigneron.
En Seine-Saint-Denis, nombre de vignerons travaillent aussi aux carrières ou sont bûcherons. Une grande partie de la population se trouve ainsi composée de vignerons-carriers ou vignerons-bûcherons ou de vignerons-jardiniers à Noisy-le-Sec. À Montreuil, les vignerons sont aussi des vignerons-horticulteurs. Lorsqu’il est plus aisé mais que la vigne ne fournit pas l’essentiel de ses ressources, le vigneron se pare du titre de vigneron-laboureur. Cette appellation correspond à un petit exploitant terrien, disposant d’un cheval, et qui conserve la fierté d’un savoir-faire. Petit paysan relativement aisé, il ne peut rivaliser avec le « paysan-laboureur » mais il a sa place dans ces terroirs mixtes du type de ceux de la Seine-Saint-Denis où vallées et coteaux couverts de vignes entament largement le plateau semé de céréales. Pourtant, souvent, dans les villages séquano-adonisiens, le vigneron est tellement pauvre que, pour survivre, il possède une vache et fabrique du fromage que sa femme va vendre dans les rues de la capitale.
Petit propriétaire amoureusement attaché à ses vignes, on est vigneron de père en fils. Les biens, partagés également entre tous les enfants ne sortent pas de la famille. Il n’est pas rare que, âgé, le vigneron effectue lui-même ce partage en donnant à chaque enfant quelques rangées de ceps. L’âge du mariage venu, filles et garçons se trouvent en possession de quelques parcelles et c’est autour de ces quelques dizaines de pieds de vigne que se constituent à la fois une exploitation et un ménage. Cette tradition entraîne dans la culture vinicole de la région parisienne une parcellisation excessive aboutissant à des exploitations de 1 à 5 hectares, voire à peine plus d’an are. La moyenne des exploitations dans les villages vignerons de la Seine-Saint-Denis est de 0,4 hectare avec, évidemment, de grandes disparités entre l’Est et l’Ouest.
Cette situation entraîne les vignerons, plus que les autres catégories sociales, à pencher vers l’endogamie car ils s’efforcent de trouver leur conjoint(e) à l’intérieur de leur paroisse ou dans les paroisses contiguës. Alors que le mariage est toujours célébré dans la paroisse de la jeune fille, plus de 75% des garçons et plus de 85% des jeunes filles issus de familles vigneronnes, se marient, au XVIIIe siècle, dans la paroisse où ils sont nés. Ce qui suppose aussi pour la majorité d’entre eux, l’établissement dans cette même commune. Ce souci de stabilité est le propre des sociétés vigneronnes car il facilite le regroupement des parcelles.
Une telle propension à vouloir se marier à la fois dans son village et dans son milieu économique peut conduire aux mariages consanguins. Si la paroisse est de taille réduite, ce risque augmente. La forte proportion des mariages consanguins dans les petits villages de vignerons s’explique par la position de l’Eglise : si elle interdit théoriquement la consanguinité, elle finit par l’accepter dès lors où elle la contrôle. Aussi, on n’éprouve que peu de difficultés à obtenir une dispense, tout au plus doit-on différer la cérémonie de quelques semaines si on ne s’y est pas pris assez tôt.
La possession de la vigne empêche de sortir du village sous peine de contraindre les intéressés à la pauvreté, voire au vagabondage et à la mendicité. Dans la vie paysanne, la vigne présente un cas particulier : "on ne peut transporter sa vigne avec soi". La terre se loue, s’échange, se vend. Elle n’empêche pas le laboureur ou le manouvrier de tenter sa chance ailleurs. La vigne, plantée par le père ou le grand-père, doit rester dans la famille. Elle n’est pas interchangeable et tient une place essentielle dans une stratégie foncière dont découle la stratégie matrimoniale.
La vigne qui couvrait une grande partie de la région parisienne au Moyen âge commence à décliner sérieusement dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les vins sont de qualité inférieure et les frais de culture sont, à l’hectare, deux fois plus élevé que ceux du blé. Les débouchés posent problème. Avant l’annexion à Paris en 1860 des terrains compris entre l’ancienne limite de Paris et les fortifications, le département de la Seine vendait presque tout son vin aux guinguettes et marchands de vins des barrières. L’octroi déplacé, les taxes de passage pour l’alcool en général et le vin en particulier sont plus élevées que le prix de revient d’un vin médiocre "français". Les vins supérieurs arrivant par bateau de la région de Bordeaux, voire de Bourgogne. Les Parisiens préfèrent donc les vins de qualité au détriment de la production locale.
L’ensoleillement exceptionnel de l’été 1893 donne une récolte splendide et un vin d’une qualité exceptionnelle dans les communes vigneronne autour de la capitale. Mais l’on peut dire que cette année fut le "chant du cygne" du vin "français" car le phylloxéra ne va pas tarder à frapper. Ce puceron minuscule qui va détruire la plus grande partie du vignoble dans toute la France aux alentours de 1900 est en marche. Il s’attaque aux racines et entraîne la mort du végétal.
Lorsque la menace phylloxérique se précise, à la fin du XIXe siècle, les syndicats viticoles se mobilisent. Le 9 décembre 1898, le syndicat des viticulteurs de Triel-sur-Seine (dans les Yvelines actuelles, le plus actif avec celui d’Argenteuil) arrête un certain nombre de propositions qu’il fait adopter deux jours plus tard par l’Assemblée générale des syndicats de la Seine qui se tient à la mairie de Triel. À cette époque, tous les syndicats fonctionnent de la même manière : il faut posséder au moins un are de vigne pour pouvoir adhérer et payer environ 5 centimes de cotisation par are. Chaque propriétaire dispose dans les votes d’une voix par are de terre ; toutefois, le nombre de voix ne peut excéder cinq par propriétaire. C’est le percepteur de la commune qui perçoit les cotisations.
Lors de l’assemblée de Triel, en 1898, les syndicats sont chargés, grâce à l’argent de leurs cotisations, d’organiser la lutte contre le phylloxéra, d’acquérir des plants pour la reconstitution du vignoble, enfin, secourir les vignerons en difficulté après la perte de leur vigne. La reconstitution de la vigne ne se fera pas en la Seine-Saint-Denis. Après le premier conflit mondial, la quasi-totalité de la vigne a disparu du paysage de la région parisienne et est remplacé par la culture maraîchère. Des centres vignerons reconnus à l’échelle régionale, voire nationale comme Montreuil, Saint-Denis ou Épinay, sont les premiers acteurs de cette évolution. Puis, l’expérimentation individuelle est finalement adoptée par toute la communauté viticole de la Seine.