Voici l’histoire d’un étrange tableau-reliquaire, extrêmement bien conservé, illustrant le Siège de Paris. Il est constitué d’éléments réels, comme des squelettes d’animaux, de la nourriture vieille de cent-cinquante ans, d’une carte de rationnement, de pièces de monnaie ou encore de morceaux d’obus… Nous vous conseillons vivement d’aller l’admirer au Musée d’Art et d’Histoire Paul Eluard, à Saint-Denis. Le tableau se situe dans une des salles consacrées à la Commune de Paris. Un cartel placé à côté de l’œuvre détaille tous les objets disposés par l’artiste par numéro.
Le 2 septembre 1870, Napoléon III capitule à Sedan après à peine deux mois de guerre face aux Prussiens, qui restent inflexibles et continuent leur marche vers la capitale française. L’empereur est déchu et la République proclamée. Paris est encerclée et affamée, mais résiste pendant cinq mois. Ce terrible siège entraînera la Commune de Paris en mars 1871.
Réalisée par Nicolas Kohl en 1871, cette « Vitrine de l’année terrible » expose méthodiquement des objets et des restes de ce qui constituait le quotidien des Parisiens assiégés pendant de cruels mois d’hiver, ainsi que pendant les 72 jours insurrectionnels de la Commune. Ce type de cadre reliquaire, qui témoigne d’une période historique marquante, n’est pas unique bien que curieux. Ici, un soin tout particulier est apporté à la disposition des objets. Un motif de rosace est même formé au centre par divers éléments métalliques, dont des obus et des cartouches !
On peut observer de petits objets comme des pièces ou des médailles, peut-être trouvés dans la rue. Les numéros apposés par le créateur lui-même correspondent à un inventaire détaillé, ce qui nous permet de reconnaître certains composants pas toujours bien identifiables à première vue. Ainsi, le numéro 50, qui se trouve en haut à gauche, est décrit de manière très onirique « Papier brûlé de l’hôtel de ville voltigeant à nos fenêtres le 25 mai 1871 ».
Les éléments liés à l’alimentation sont nombreux, et reflètent la difficulté à se nourrir correctement pendant le siège de Paris. Encerclés, non approvisionnés, les habitants n’ont eu d’autres choix que de cuisiner les ressources locales. Pour les plus pauvres, souris, rats et chats étaient au menu. Les ossements visibles dans la vitrine en sont la trace. On trouve également une carte de rationnement, qui témoigne des mesures restrictives mises en place. Ainsi au numéro 19, on peut voir un « Pain mangé le 10 janvier 1871 après 4 heures d’attente et par 12° de froid ». Pilier du repas français, le pain vient pourtant à manquer et est soumis à un rationnement. La farine de blé devenant rare, les recettes s’adaptent, pour des résultats gustatifs souvent plus que douteux !
Pour la petite histoire, les plus riches ont fait des animaux du Jardin des Plantes et des parcs zoologiques avoisinants des festins d’un genre particulier : éléphants, kangourous, girafes… Mais on s’est gardé à l’époque de manger les singes, à cause de leur trop grande ressemblance avec les hommes !
Trouvez ci-dessous la retranscription de la notice rédigée par Nicolas Kohl lui-même et qui inventorie les objets collectés pour ce tableau-reliquaire.
Nicolas KOHL, Vitrine de l’Année terrible. Matériaux divers, 1871.
1 - Biscayen (petit boulet de fonte) trouvé le 4 mai 1871 Avenue des Ternes
2 et 3 - Cartouches de Champigny trouvées le 2 décembre 1870
4 et 5 - Cartouches de Buzenval trouvées le 21 janvier 1871
6 7 8 9 - Balles d’après l’explosion de la cartouchière du champ de mars le 18 mars 1871
10 11 12 13 - Capsules de la porte Maillot trouvées le 12 mai 1871
14 15 16 17 - Petites balles venant de la boîte à mitraille trouvées avec Mac Mahon le 4 mai 1871
18 - Pain mangé en janvier 1871
19 - Pain mangé le 10 janvier 1871 après 4 heures d’attente et par 12° de froid
20 - Fil électrique de la Commune coupé par un obus Avenue des Ternes le 16 mai 1871
21 22 - Eclats d’obus et sa couverture éclaté à la Courneuve à St-Denis le 15 décembre 1870
23 24 - Biscuits brûlés à l’entrepôt de la Villette par l’incendie du 26 mai 1871
25 - Souvenir historique des capitulations de Metz, Sedan et Strasbourg avec le prix des denrées pendant le siège de 1870 et 1871 accompagné des 2 empereurs
26 - Médaille anglaise trouvée sur un anglais mort au Bourget
27 - Etoile d’un ami sergent d’infanterie mort à Metz
28 - Fil électrique trouvé sur la Scène [sic], correspondant à Rouen
29 - Eclat d’obus prussien tombé au point du jour le 7 janvier 1871
30 - Eclat d’une bombe éclatée par l’explosion de Vincennes le 14 juillet 1871
31 - Souris mangée avec plusieurs autres le 2 décembre 1870
32 33 - Rats mangés les deux ensemble le 2 janvier 1871
34 35 36 37 - Pièces de monnaie prussiennes trouvées à Meudon
38 - Bougie du siège à 6,40 centimes le kilogramme
39 40 - Biscuit venant d’un marin mort au Bourget
41 - Globe de pendule fondu par l’incendie des prussiens à Garches le 21 janvier 1871
42 - Gâche venant de l’incendie des Tuileries
43 - Vis à obus tombé à nos fenêtres le 6 mai 1871
44 45 - Eclat de l’Obélisque et un éclat d’une des fontaines de la place de la Concorde trouvés le 19 mai 1871
46 - Carte de boucherie 30 grammes par jour et par personne, le touchant tous les 4 jours après trois heures de temps et 12° de froid
47 - Chat mangé le 25 décembre 1870
48 - Pied de cheval mangé le 16 janvier 1871
49 - Chien mangé le 5 janvier 1871
50 - Papier brûlé de l’hôtel de ville voltigeant à nos fenêtres le 25 mai 1871
51 52 - Balles tombées à nos fenêtres le 10 mai 1871
53 54 - Objet venant des Tuileries de la toiture et des bases d’une cheminée
55 - Charbon trouvé dans les entrailles d’un homme brûlé le 29 mai 1871
56 - La farine employée à faire le pain pendant le siège
57 - Balle prussienne trouvée au Plateau d’Avron
* Fait à Paris, le 15 juillet 1871
Kohl Nicolas
N°inv. DCG 9701, acquis en 1997 par le Fonds d’Acquisitions Patrimoniales de Seine Saint-Denis, oeuvre du fonds départemental d'acquisitions patrimoniales de Seine-Saint-Denis, en dépôt au musée d’art et d’histoire de Saint-Denis Paul Eluard.
Le Musée d’art et d’histoire Paul Éluard possède l’un des plus importants fonds sur le Siège et la Commune de Paris, qui réunit plus de 15 000 objets. Un accrochage permanent est visible toute l’année dans les salles, et des expositions temporaires mettent régulièrement à l’honneur cette période historique fascinante, qui marque l’entrée de la France dans un système républicain durable.
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