"Locataire d'un "collectif" de Stains, je ne pouvais qu'être attiré par l'histoire de la cité-jardin, véritable oasis de verdure du territoire communal. Réalisation unique en son genre, la cité-jardin, idée généreuse de penseurs du siècle passé, permettait au plus pauvre, au plus démuni de jouir des plaisirs champêtres jusque-là réservés à une classe de privilégiés. Rendons grâce aux deux architectes qui ont conçu, tracé et réalisé ce havre de paix qui, après soixante années, malgré quelques imperfections, quelques exiguïtés insupportables à notre époque, n'a pas un besoin urgent de réhabilitation générale."
Pierre-André LOISEAUX est historien et habitant de la cité-jardin. Ce texte est extrait de son mémoire d'histoire de 1987.
"C'était quelque chose de très nouveau pour moi parce que je viens de province. Je viens de Limoges, ça n'existait pas trop ce genre d'architecture. En plus comme généralement on a des idées un peu préconçues de ce que ça peut être une cité. Quand on dit le mot "cité" ça inclut généralement, en tout cas moi dans ma représentation à l'époque, j'avais vingt ans, je ne connaissais pas la région parisienne, donc ça incluait les 4000, les grands ensembles, les trucs comme ça. Ce n'était pas des cités comme ça à taille humaine, on va dire."
Hélène REYS est arrivée en 2000 pour faire ses études à Saint-Denis.
"J'avais quand même une image que c'était la plus belle cité de Stains. Et que ça fait un petit peu bâtiment comme Paris, en briquette. Ça fait un peu moins formaté, un peu moins carré, un peu moins gris que d'autres cités. J'ai trouvé ça joli, et j'étais bien content d'avoir trouvé un appartement ici. […] Dans les autres cités, il n'y a pas des coins de plafond arrondis, il n'y a pas des petites frises sur les côtés. Les pièces ne sont pas formées de la même manière. Il n'y a pas un parquet aussi merveilleux, c'est du lino."
Mohammed BENLAZAAR est stanois d'origine. Il a emménagé à trente ans, en 2006 à la cité-jardin, dans un logement tout juste réhabilité.
"Quand ma fille faisait de l'athlétisme, je l'amenais de bonne heure au stade Delaune. Je prenais le bus, je me croyais à la campagne. Si, c'est vrai, je me croyais à la campagne le week-end car tout le monde dort, à 6 heures du matin. C'est calme. Et des fois je m'arrêtais à la mairie pour faire le tour de l'autre côté pour voir, je trouvais que c'était calme et propre. C'est toujours comme ça, le dimanche, tout est propre."
Zaïtoune BACAR, 40 ans, habite depuis douze ans dans un logement en collectif.
"Mes parents, ils sont issus de cette rue aussi. Mon père habitait au 16 et ma mère au 30. Ils se sont toujours connus. Et vu que mes grands-parents ont toujours habité là, ils avaient toujours les connaissances autour de chez mes grands-parents. Donc moi, quand je suis arrivé et que j'étais en âge de 7, 8 ans, je connaissais déjà tout le monde, et tout le monde me connaissait."
Walter PRACHE est né en 1980.
"L'OPHBMDS se préoccupe de la tenue morale et de la santé de ses locataires. Il les choisit, les trie. François LATOUR, conseiller général de la Seine déclare en 1936 : "Nous devons faire une sélection plus rigoureuse et une éducation préventive des locataires, spécialiser l'habitat HBM et accentuer son caractère d'oeuvre d'assistance sociale…". Tout aspirant locataire fait l'objet d'une enquête approfondie."
Pierre-André LOISEAUX
"Moi, quand j'étais petite, les pavillons c'était que les gens riches. Il faut dire, moi, ma mère m'envoyait faire des courses à crédit, et on payait avec le monsieur des allocations familiales qui passait tous les mois. Il donnait des bons. On était tous des familles nombreuses, donc tout le monde faisait pareil, les commerçants savaient. Et les pavillons c'était que les flics, l'EDF GDF, les cadres. Pour moi ce n'était pas des gens qui travaillaient en usine, c'était des gens de l'administration. Et les "escaliers cirés", c'est les quatre coins de la place Marcel-Pointet. C'est ce que j'appelais les "escaliers cirés". Il y a que ceux-là qui ont des escaliers cirés."
Mme DUSSEAUX est née à la cité-jardin en 1948.
"Nous les familles nombreuses, on était reclus tous dans la Division Leclerc, tous les "quatre chambres". Les rez-de-chaussée et les hauts, avec les petites courettes. Sauf avenue Stalingrad, vous avez aussi les petites courettes, mais c'est des plus petits logements. Quand on jouait dans les cours, on était une tripotée ! Dans le logement au 85, alors il y avait mon père, ma mère, Évelyne, moi, Éliane, Josseline, Michel, on était 7 quand ma mère a eu ce logement là. […] Quatre chambres, mais il n'y avait pas de chauffage, il y avait rien, il y avait le poêle dans la salle à manger, on réchauffait les oreillers dessus, au charbon."
Mme DUSSEAUX
"Ce qui était finalement embêtant et dont je me suis rendue compte avec l'hiver, c'est que c'était super mal isolé. J'étais en rez-de-chaussée, un petit 25 m2 avec un jardin de 110 m2. Il y avait un côté très sympa. Avec framboises pendant tout l'été. Mais effectivement l'hiver, c'était hyper mal isolé. J'étais obligée de mettre un pull pour aller aux toilettes."
Hélène REYS
"On est arrivé en 61 mais il n'y avait pas de chauffage. On avait un gros poêle à mazout dans le séjour pour chauffer partout. C'est tout. Après ils nous ont installé le radiateur. Les HLM faisaient des essais. J'étais dans les premières à avoir une chaudière murale."
Colette LECLERC est arrivée à la cité-jardin avec sa famille dans les années 1930. Elle avait une dizaine d'année.
"Devant la délégation, c'était des maraîchers. Moi j'ai travaillé là, on allait cueillir les pêches, les prunes…Et au milieu de ces maraîchers, il y avait un chemin qu'on appelait la rue des acacias, qui partait de la fin des pavillons de la cité-jardin et qui allait jusqu'à la petite rue du pavé d'Amiens de Saint-Denis. Quand on était à l'école, on venait des fois faire un peu de gymnastique là. Mais c'était surtout les patronages. On pouvait pique-niquer. Vous aviez le champ de moutons, le champ de boule, et les deux autres de l'autre côté, c'était des petits jardins où on se promenait."
Mme DUSSEAUX
"Oui, il y avait une fontaine à godets. C'était une grande roue avec des petits godets, qui descend et qui reprend l'eau. Elle était grosse, il y avait au moins une quinzaine de godets. Moi j'y allais pour avoir de l'eau fraîche parce qu'on n'avait pas de frigidaire. L'eau était glacée. Alors l'été, tout le monde y allait. Il y avait la queue jusqu'à Aline, à partir de 7 heures."
M. BRICOU
"Je suis d'une culture très ouvrière. Mon père était cheminot, ma mère ne bossait pas. Je trouve qu'il y a un côté classe ouvrière, classe populaire qui est magnifique dans cette cité. Que l'on puisse montrer comment il y a eu une volonté à la construction de faire du solide, de faire quelque chose de qualité mais aussi quelque chose de beau… Et pourtant pour une population ouvrière. Le coup des petits frigos… Il n'y avait pas de frigos à l'époque. Pour conserver la nourriture, il y a une niche en ciment qui est rajoutée qui permettait de conserver la viande, le lait, l'hiver."
Hélène REYS
Et puis après, c'est rigolo, je me suis rendue compte de l'importance aussi de tout ça quand un jour je suis allée prendre des places de rugby à l'office de tourisme de Saint-Denis. J'arrive à l'office du tourisme et je vois tout un truc pour visiter la cité-jardin de Stains. Et d'un seul coup je me dis, ah les gens visitent le truc où j'habite. C'est là qu'on voit un peu l'importance historique de tout ça, le fait que ce soit classé patrimoine."
Hélène REY
"Un truc comme ça, HLM, des logements sociaux, patrimoine de France, ça m'a étonné. Il y a de quoi. Avant ça me faisait rire que des touristes soient prêts à venir à Stains pour visiter la cité-jardin. Mais en y réfléchissant bien, après la promenade qu'on a fait ensemble, comment on nous l'a montrée, comment on nous l'a décrite avec un regard plus éclairé, avec un regard historique, si, si, je peux le comprendre, largement. Je pourrais trouver ça normal, car oui quand on regarde, ça a quand même son charme."
Mohammed BENLAZAAR
"Ce qui me plaît le plus dans le fait de vivre à la cité-jardin, c'est que c'est calme et que je connais tout le monde. Et je suis habitué à vivre ici. Et on a tout à côté, pas besoin d'aller très loin. Tout est à côté, le tabac, l'épicerie, la boulangerie."
Markovic ZELJKO a vingt ans et habite à la cité-jardin depuis dix ans.
"On a tenu à obtenir cette boutique ici parce qu'on estime que ce type de démarche est trop réservé au centre ville cossu. Tout l'enjeu c'est de réussir à faire vivre une boutique à part entière, dans un quartier populaire pour participer à la revitalisation du centre ville. Alors on est aussi parti de l'idée que notre population est de multiples origines, et qu'au fond elle serait sensible à cette démarche de solidarité."
Francis MORIN est membre de l'association EKI, installée dans l'ancienne charcuterie de la cité-jardin depuis quelques années.
"Vous aviez concierge, gardien et couple de gardiens. On était 14 gardiens sur la cité-jardin et il y avait 3 couples de gardiens. Tout le restant c'était des concierges. Moi, en tant que concierge, j'avais 71 logements à m'occuper. Dans le couple, la femme restait à la loge pour prendre les réclamations des gens, les encaissements de loyers, et le gardien faisait tout le tour des cours. Il regardait si tout va bien. S'il y avait le linge aux fenêtres, c'était le coup de sifflet. Et ils étaient assermentés. Ils pouvaient mettre des amendes. Quand j'ai commencé comme concierge en 1973, j'étais assermentée aussi. On avait un carnet de souches."
Mme DUSSEAUX
"Il y avait des bancs tout autour, des tilleuls, un bac à sable pour les enfants, et un bac à eau autour de la fontaine. Même si on habitait en immeuble, quand on ouvrait nos fenêtres, on voyait des fleurs, des roses. Il y avait une rosace qui était au milieu, elle était immense. C'est vrai que même en hiver c'était beau, il y avait tellement de verdure."
Mme BLANCHARD, 48 ans a toujours habité à Stains. Ses grands-parents sont arrivés en 1945 à la cité-jardin.
"D'après mes souvenirs, la première fois, on s'est mis dans la cour en bas, on a rencontré d'autres gamins, on a fait des jeux. J'ai bien aimé la grande cour, une aire de jeux. […] Plutôt les souvenirs d'enfance, de gamins, quand on jouait dans la cour à la gamelle, à chat. On se retrouvait tous ensemble, les batailles d'eau qu'on faisait ici quand il y avait tout le monde. On passait tous nos étés ici. Tous les jours on se rassemblait vers une heure, deux heures de l'après midi, on prenait un ballon, on jouait toute la journée. […] On nous appelait, on descendait tous. On se réunissait garçons et filles, avant il y avait plus de filles que ça. On était beaucoup de jeunes et on jouait toute la journée."
Markovic ZELJKO
"Vingt-six cabines, deux salles de bains pour les hommes, cinq pour les femmes. Deux tickets d'entrée par personne et par mois délivrés par le HBM, dont le prix d'ailleurs est inclus dans le montant de la quittance de loyer. Un ticket, quarante centimes en 1926, soixante-quinze en 1935 donne droit à une douche simple sans serviette ni savon. Il faut en dépenser trois pour un bain, en principe réservé aux dames et aux malades. En semaine l'établissement est ouvert de sept heures à vingt et une heure et le dimanche matin. Le règlement rappelle aux pères et aux mères que les enfants ne doivent pas se présenter le samedi soir " sauf la veille de la distribution des prix ou si les parents tiennent à avoir leur progéniture propre pour le dimanche."
Pierre-André LOISEAUX
"C'était la fille la plus méritante de Stains. C'était un petit patelin mais tout le monde venait de partout pour voir la rosière à Stains. Une dame avait fait don de sa fortune, pour justement les filles les plus méritantes. Et comme c'était bourré de commerces à Stains, elle ressortait au final, avec des cadeaux. Elle défilait sur le char, s'il vous plaît, dans les rues de la cité jardin"
Mme DUSSEAUX
"Vous allez peut-être pas me croire mais au bout de la rue, il y avait la chenille. Toute l'avenue François-Bégué était fermée. C'était des baraques, des stands. C'était fermé puisqu'il y avait même une estrade qui se trouvait là. Il y avait de la musique, là-bas, il y avait de la musique partout."
M. BRICOU
"Après de multiples démarches auprès de l'Office, la municipalité acquiert, à partir de 1937, une boutique place Louis-Loucheur (ancien nom de la Place Marcel-Pointet) qui peut contenir 180 à 200 personnes, deux étages composés de quatre appartements, soit quatorze pièces qui seront après travaux transformés en bureaux. Dix-huit associations pourront y être abritées : c'est la Maison du Peuple. Les habitants de la cité-jardin ne tardent pas à se grouper. Dès 1926, une sous-section de l'Amicale des locataires réunit ses adhérents le matin du deuxième dimanche de chaque mois au café de la mairie, puis en 1928 à la boulangerie "La fraternelle " avenue Hainguerlot (ancien nom de l'avenue Paul-Vaillant-Couturier). En 1938, un bureau lui est affecté dans la Maison du Peuple."
Pierre-André LOISEAUX,
"À la Maison pour tous, des cours de promotion sociale ou d'apprentissage y sont organisés : les jeunes filles y préparent leur trousseau, participent à des séances d'économie domestique, d'hygiène et de "Croix-Rouge". Les mères de familles s'y réunissent au moins une fois par mois. Pour elles, des séances de projections fixes ou animées, commentées par des médecins ou des spécialistes ont lieu."
Pierre-André LOISEAUX
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